In the commentaries of my last published post, Florian asked me about an interpretation of Newton’s Principia Mathematica where this famous opus is viewed as a « rape manual ». I summarize all I know about this affair here.
Florian, dans les commentaires du billet précédent, m’a demandé si je connaissais une interprétation des Principia Mathematica de Newton qui l’envisageait comme un traité du viol. Voici ce que je sais sur cette affaire.
1) Féminisme et science/Science and Feminism:
Feminist Science-criticism tries to demonstrate that science is a discriminatory and patriarchist activity, through the demonstration that its supposed pioneers were sexists.
Le Feminist Science-criticism essaie de montrer que la science contemporaine est fondamentalement machiste, sexiste et patriarchale. Mais, étant donné qu’un nombre très réduit de ses représentants a les compétences nécessaires pour interpréter les textes scientifiques, la plupart se contente d’une analyse du moment considéré comme « fondateur » de la science moderne : le 17ème siècle.
2) La faute à F. Bacon/Bacon's fault :
There is a mistranslation in english from a latin text written by Francis Bacon : « I am come in very truth leading to you Nature with all her children to bind her to your service and make her your slave. » The original proposition is : Ego… revera naturam cum fetibus suis tibi addicturus et mancipaturus. » There is no sign of sexism in the latin proposition.
Il y a une traduction anglaise fautive d’un texte latin de F. Bacon, dans laquelle il est question de réduire à l’esclavage la Nature (cet aspect est absent du texte latin) : « I am come in very truth leading to you Nature with all her children to bind her to your service and make her your slave. » (dans Récusation des doctrines philosophiques et autres opuscules).
3) Le raisonnement des féministes est le suivant/Statements of the feminists:
a) Feminists try to show that 17th science is sexist and suppose that all that is true for this century is true for our time.
Ils/elles étendent les caractéristiques historiques de la science du 17ème s à celle d’aujourd’hui.
b) They try to demonstrate that the sexist/rape metaphors is a key to methodological and theoretical aspects in sciences.
Ils/elles tentent de démontrer que cette métaphore a autant d’importance que n’importe quelle autre métaphore dans le processus des découvertes scientifiques.
4) Science and rape/Les Sciences et le viol :
Sandra Harding is one the most famous feminists historians of sciences and epistemologists and she is the one who tries to demonstrate those statements:
Ce n’est pas Luce Irigaray, mais Sandra Hardings qui s’est chargée de tenter de démontrer ces thèses :
« Francis Bacon appealed to rape metaphors to persuade his audience that experimental method is a good thing »
« ...(these sexual meanings) are central to the ways scientists concepualize both the methode of inquiry and models of nature »
Harding, Sandra, Whose Science ? Whose Knowledge ? Thinking from Women’s Lives, Cornell University Press, 1991, Ithaca, pp 43-44.
5) Introduction de Newton dans le débat/Principia Mathematica as a « rape manual » :
Sandra Harding is also the author of the interpretation of the Principia mathematica as a « rape manual » :
Newton fut mentionné, encore une fois, par Harding. Croyant qu’on pouvait extrapoler à tous les « fondateurs » des propositions de ce type, elle s’est attaquée à Newton. Voilà la citation exacte :
« Traditional historians and philosophers have said that these (rape and torture) metaphors are irrelevant to the real meanings and referents of scientific concepts… But when it comes to reagarding nature as a machine, they have a quite different analysis : here, we are told, the metaphor provides the interpretations of Newton’s mathematical laws : it directs inquirers to fruitful ways to apply his theory… But if we are to believe that mechanistic metaphors were a fundamental component of the explanations the new science provided, why should we believe that the gender metaphors were not ? A consistent analysis would lead to the conclusion that understanding nature as a woman indifferent to or even welcoming rape was equally fundamental to the interpretations of these new conceptions of nature and inquiry. Presumably these metaphors, too, had fruitful pragmatic, methodological, and metaphysical consequences for science. In that case, why is it not as illuminating and honest to refer to Newton’s laws as « Newton’s rape manual » as it is to call them « Newton’s mechanics » ? »
Hardings, Sandra, The Science question in Feminism, Cornell University Press, Ithaca, 1986, pp. 113.
Je laisse à chacun le soit de tirer des leçons de ce texte absurde. Je n’insisterai que sur un seul aspect : Hardings commet une erreur de raisonnement importante en faisant une « genesis fallacy », car elle conclut du fait que les représentations présupposées par les méthodes de recherche scientifique sont sexistes (admettons qu’elle ait raison pour l’argument), que les produits de la science sont eux-mêmes sexistes.
4 comments:
Bonjour,
La tendance au sophisme de la genèse n'est elle pas plus généralement le défaut constitutif de tous les avatars de la "lecture symptômale"?
Bonjour,
Question difficile!
Je ne suis pas certain qu'on puisse toujours associer les deux. Car la "lecture symptômale" est foncièrement une sémiotique, une étude des signes, c'est-à-dire des phénomènes observables qui sont les conséquences d'un autre phénomène non (encore) observé. Les conséquences sont l'explanandum par rapport à l'explanans. Les amateurs de la "lecture symptômale" ont donc tendance à se concentrer sur les traces, les signes, les empreintes pour en induire ce qui a causé l'empreinte et qui permet d'expliquer les symptômes.
La "genesis fallacy", à la différence de la "lecture symptômale" (mais je peux me tromper!), est caractérisée par un vice au niveau de l'explanans.
En revanche, si, pour vous, "lecture symptômale" désigne de manière générale la méthode des postmodernes, ma réponse est différente. Il est clair que ce sophisme est très répandu dans leurs discours (malheureusement, ce n'est pas le seul).
Amicalement,
D’accord pour dire qu’une lecture symptômale ne débouche pas nécessairement sur une « genesis fallacy ». Théoriquement on peut pratiquer la première sans verser dans la seconde : par exemple Freud reconnaît que traiter les croyances religieuses comme l’expression de désirs ne constitue pas en toute rigueur une réfutation de ces croyances. Le problème vient, à mon avis, du fait que, même lorsque les registres de l’explication et de la réfutation d’une croyance ne sont pas confondus, la lecture symptômale est utilisée de manière polémique, car si elle n’a pas valeur de réfutation logique elle a un effet psychologique non négligeable (montrer à quelqu’un qu’il prend ses désirs – ou ses intérêts de classe- pour des réalités ne lui démontre pas que ses croyances sont fausses mais cela l’empêche d’y adhérer en toute bonne conscience). L’usage polémique de la lecture symptômale est antérieur au postmodernisme, on le trouve dans l’arsenal des freudiens et des marxistes « classiques ». Il me semble que ce qui est nouveau chez les postmodernes (nouveau par rapport à Marx ou Freud, peut-être pas par rapport à Nietzsche) c’est l’usage de cette méthode dans une perspective relativiste : il ne s’agit plus seulement d’utiliser la lecture symptômale pour neutraliser l’idéologie ou les résistances à ce qui est considéré comme la vraie science (ce que font les marxistes et les freudiens classiques) mais il s’agit de l’utiliser pour déconstruire la « vraie science ».
De là ma question : quand d’après vous les postmodernes se trompent-ils ?
1) quand ils prétendent que les sciences sont justiciables d’une lecture symptômale comme tous les systèmes de représentation
ou
2) quand ils présupposent que la lecture symptômale est nécessairement démystificatrice, a nécessairement une portée polémique contre le discours qu’elle prend pour objet.
Elias:
Je suis tout à fait d'accord pour dire que la lecture symptômale a une dimension plus psychologique que logique. Mais sa déficience logique en fait un outil mal aisé à utiliser, de sorte que, non seulement elle ne saurait être considérée comme une réfutation, mais on doit considérer avec beaucoup de doutes sa puissance explicative.
À votre question, je répondrais que la 2ème est plus proche de la bonne réponse.
*J'insiste sur ce point: les sciences, comme n'importe quel ensemble de représentations, peut être soumis à une interprétation sociale, "symptômale" (mais peut-être faudrait-il une définition un peu plus précise). Les sciences sont soumises à des questions de valeurs et d'intérêts. Aucun scientifique ne dira le contraire.
Le problème, c'est justement de savoir comment la régulation par certaines pratiques (comité de lecture en revue, système sélectif...) permet d'aboutir à un système de correction "objective" des intérêts individuels et des valeurs personnelles.
C'est pourquoi je pense que les postmodernes se trompent quand ils concluent que, du fait que les sciences sont soumises à des valeurs et des intérêts, elles sont arbitraires et le reflet exact des préjugés les plus condamnables (ou que la valeur psychologique de leur argument est importante).
*Mais les postmodernes, en condamnant de cette manière les sciences et en ne proposant qu'une "autre vérité", une "autre justice" sans autre précision... arrivent à une combinaison assez étrange: un intégrisme moral vis-à-vis du rationalisme mâtiné d'un relâchement total vis-à-vis de toutes les formes de superstititions et de préjugés.
Amicalement,
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