Différence avec les styles orientaux
Bien
sûr, il n’y a ni rituels ni courbettes dans l’art martial russe. On
peut serrer la main à son partenaire, mais ce n’est pas une salutation
formelle.
On peut aussi sourire ou rire durant un sparring. En fait, le sparring est plutôt vu comme une exhibition dans l’art martial russe. Il n’est vraiment pas pris au sérieux. Le sparring devrait être accompli avec une énergie positive, en accord la philosophie générale russe. On respecte son partenaire.
Et
après tout, si on est mortellement sérieux pendant un entraînement,
comment restera-t-on vraiment sérieux quand une menace se présentera
réellement devant soi ? La philosophie de l’art martial russe affirme
que si on prend la vie et l’entraînement toujours au sérieux, alors on
sera incapable de ou trop fatigué pour faire le /15/[pagination de
l'original] changement de comportement nécessaire pour réagir face à une
situation vraiment sérieuse.
Beaucoup
d’arts martiaux traditionnels sont vraiment sérieux cependant. Les
combattants ont l’air dur. Les rires et les blagues sont rares voire
inappropriées. Les visages prennent une expression tendue ou sévère.
Les
mouvements sont chorégraphiés. Si un opposant fait une action
particulière, alors on va répondre avec une action spécifique et
préétablie. On n’aura aucune versatilité. Mais si on prend le sparring
comme un jeu, comme c’est fait dans l’art martial russe, alors on
pourra agir avec intuition et liberté dans le mouvement. Cet aspect est
essentiel pour une exécution correcte dans le système russe.
Il
y a aussi les techniques de la « respiration orientale » que les autres
arts martiaux utilisent. Tout ce relâchement d’air et d’énergie pour
chaque coup, cette expulsion d’air, cela ne permet pas à l’entraînement
d’être amusant ou comme un jeu. De même, les arts orientaux ont localisé
un endroit autour du nombril appelé dantian. Il est considéré comme « la mer de la respiration interne », ou l’endroit où toute l’énergie interne, le chi ou le qi s’accumule.
Le
style russe reconnaît aussi un point similaire dans le plexus solaire,
juste derrière l’estomac, mais ce n’est pas une simple collection de
points. Cette zone comprend un système puissant et interconnecté de
terminaisons nerveuses, auquel les physiologistes se réfèrent souvent
sous le terme de « cerveau de l’abdomen ». Ces terminaisons nerveuses
sont une partie du système nerveux sympathique qui transmet des
impulsions qui activent des réponses physiologiques aux organes
internes. Quand le corps fait l’expérience d’une augmentation de
l’intensité de l’activité ou d’une situation d’urgence, le système
sympathique est stimulé.
Les
terminaisons nerveuses du plexus solaire ont leur propre accès aux
organes internes. Le plexus solaire agit ainsi comme une sorte
d’approvisionneur d’énergie électrique aux organes internes, aux
vaisseaux sanguins, aux glandes, et aux contractions musculaires pendant
les périodes de stress. Là où le dantian oriental sert de
réservoir, le plexus solaire russe est en interaction avec tout le
corps. Encore une fois, cela coïncide avec le principe de liberté de
mouvement, si important dans l’art martial russe.
L’importance de la mobilité
Le dantian
représente aussi le centre de gravité d’une personne dans les arts
martiaux traditionnels. Les combattants dans les écoles orientales sont
plus en contact avec le sol. Ils ont tendance à prendre des positions
fixes et stables. Cela vient de la nature de la vie dans les montagnes
où ces arts ont leur origine. /16/
Rappelez-vous
que la géographie et le climat, et la réponse biophysique donnent forme
à la tactique pour un art martial spécifique. Dans les montagnes, les
gens vivent et bougent de manière à minimiser les effets des intenses
rayons ultraviolets et des vents perçants. En l’absence de chaise dans
la vie quotidienne, les gens squattaient et s’asseyaient en croisant les
jambes. Trouver un centre de gravité bas, pour améliorer la stabilité
contre les éléments, était nécessaire.
Les
conditions européennes étaient différentes. Le besoin de stabilité
n’était pas aussi présent, et cela conduisit à un principe d’arts
martiaux nouveau, « la mobilité ». Là où le centre de gravité bas
procurait de la stabilité, le centre européen de gravité plus élevé
procurait une plus grande mobilité. Dans le système russe, ce n’est pas
la stabilité, mais la continuité de mouvement qui nous rend plus
efficace.
Il
est aussi important de noter que les arts martiaux orientaux se
concentrent culturellement sur l’imitation des animaux. On croit que, si
une personne imite le comportement des animaux dans ses mouvements,
cela la rapprochera de la nature.
Mais
le monde des hommes est vraiment différent du monde des animaux. De
cette manière, ces mouvements ressemblants à ceux des animaux dans les
arts orientaux ne s’accordent pas avec le style des mouvements humains.
En fait, ils limitent ou entravent les mouvements naturels. Ce n’est pas
bon pour le système russe. /17/
Dans
la nature, chaque être a son identité. Un lapin par exemple, ne pourra
pas jouer avec succès le rôle du loup. De même, un humain ne peut pas
jouer le rôle d’un serpent ou d’un dragon. Cela perturbe les voies de la
nature et le mouvement naturel sur lesquels nous nous reposons.
Les fondements du mouvement naturel
Les
arts martiaux traditionnels ne sont pas vraiment spontanés. Ils
reposent sur des habitudes de stimuli et de réponses. On apprend aux
pratiquants que lorsqu’une attaque avec un bâton arrive selon un certain
angle, on doit utiliser une réponse spécifique et prédéterminée, ou un
blocage. Le contenu de l’apprentissage est « S’ils font ça, tu fais
ça. » « S’ils arrivent sur toi de cette manière, tu bloques de cette
manière ».
Mais
ce n’est vraiment pas pratique. Et ce n’est pas bon non plus pour une
personne qui n’a jamais eu à faire face à une attaque réelle. En effet,
le principe n’a pas l’air de faire sens. Si quelqu’un attaque avec une
batte de baseball lors d’un vrai combat, on n’utilisera pas un blocage.
Sinon il y aurait de bonnes chances d’y laisser son bras.
Ce
qui importe est d’apprendre quelle serait notre réponse naturelle à
cette attaque. Même si cela a l’air illogique étant donné qu’on doit
contrôler la peur, il est aussi important de faire l’expérience de la
peur pour voir comment on réagit naturellement à une frappe.
Tout
au début de mon entraînement aux SOU, toutes les recrues furent
alignées et l’instructeur nous frappa l’un après l’autre de manière
inattendue. Chaque personne a réagi de manière différente. Ils ont
accompli des mouvements du corps différents pour s’échapper au même type
de frappe. Chaque personne était unique par sa réaction.
On
est né avec cette « réaction naturelle » et il est essentiel d’en
devenir conscient quand on apprend le système russe. Nous devions savoir
comment nous réagirions naturellement quand la réalité surviendrait.
Chaque soldat devait apprendre à construire ses capacités de combat à
partir de ses réactions naturelles. La technique s’appuyait en dernière
instance sur ces premières réactions naturelles.
On
fait la même chose dans ma classe. Quand un nouvel étudiant arrive on
va l’attaquer, par exemple, avec un couteau à vitesse réelle pour voir
comment il réagit. Il bougera spontanément d’une manière particulière.
Attirer
son attention sur son mouvement l’aidera à prendre conscience de sa
/18/ réaction naturelle. Il peut sauter, se pencher en arrière, plonger
ou se couvrir. Tout mouvement est virtuellement acceptable. L’aspect
important à retenir est que chaque personne réagit différemment et que
ces réactions différentes sont des clés pour élaborer une défense.
On
apprend ensuite à l’étudiant à construire quelque chose à partir de ce
mouvement naturel. De cette manière, on ne s’oppose pas à son mouvement
naturel, mais on l’utilise à son avantage. Si sa réaction naturelle est
de se pencher en arrière, par exemple, il pourra trouver utile de lever
son bras pour intercepter le couteau.
Alors
que ce bras s’est levé naturellement pour créer un effet d’équilibre,
il peut aussi être utilisé pour frapper l’attaquant à l’épaule et le
forcer à lâcher son couteau. Des séries de mouvements vont ainsi être
pratiquées, découlant toutes de la réaction originale de la recrue et
dans la continuité du mouvement naturel de son corps.
Bien
sûr, il est aussi essentiel d’apprendre ce qu’est sa réponse naturelle
pour s’en protéger dans les situations où elle peut nous mettre en
danger. Par exemple, si un homme se trouvant sur un pont est attaqué, et
que sa réponse naturelle est de sauter en arrière, il doit être
conscient qu’il ne peut pas agir ainsi dans cette situation. S’il le
fait, il tombera du pont et plongera dans la rivière. Encore une fois,
la conscience de son corps et avec ce qui se passe autour de soi sont
essentielles dans la maîtrise du système russe.
Quelle
que soit notre réponse naturelle, apprendre à se mouvoir correctement
est le premier but, depuis le départ, dans l’art martial russe. On doit
être capable de mouvoir séparément chaque partie de son corps. Chaque
épaule doit pouvoir être mue séparément par exemple. Il n’est pas
nécessaire d’impliquer /19/ le corps entier. Le reste du corps reste
ainsi relâché, alors qu’on meut la partie requise.
Le « centre de gravité flottant »
Encore
une fois, pour maîtriser ce système, on doit être aussi capable de se
mouvoir de telle sorte que nos membres et le reste de ton corps puissent
se mouvoir de différentes manières simultanément. C’est une sorte de
mouvement du corps en 3D.
Le
principe en question ici est appelé le « centre de gravité flottant ».
Le corps se balance en haut et en bas, pivote dans les trois dimensions
simultanément. En même temps, il se meut comme un pendule. Le point de
suspension du pendule est quelque part au-dessus de la tête. De cette
manière, le bassin bouge toujours avant les épaules. Le bassin et les
épaules pivotent sur leur axe horizontal et dessinent la figure du 8,
qu’on étudie en profondeur pendant l’entraînement physique.
Se
glisser dans le pendule est comme patiner sans autoriser tes pieds à
quitter le sol. Garder les pieds enracinés dans le sol procure un
maximum de puissance pour les mouvements des bras et des jambes.
Et
en même temps, les bras et les jambes doivent être libres. Les jambes
doivent rester légères et mobiles. Les mouvements des bras ne doivent
pas reposer sur une posture ou un support venant des jambes. La
puissance de frappe vient du bassin.
On
ne devrait pas réfléchir à un coup particulier pour se défendre ou à la
personne qui est en face de nous sur le moment, non plus. Quand le
contact physique commence, le combat devrait être totalement
inconscient. Il est impossible de développer à l’avance des techniques
pour toutes les situations potentielles dans un combat, mais il est
possible d’apprendre au corps à « penser ».
Par
« penser », j’entends permettre au corps de trouver spontanément la
solution à une situation inattendue. C’est pourquoi, dans le système
russe, pendant les sessions d’entraînement, on ne devrait jamais
organiser au préalable les attaques avec son partenaire.
Chaque
mouvement devrait être dynamique et multifonctionnel. On ne devrait
jamais bouger juste pour bouger. À tout moment, le corps entier devrait
être perçu et utilisé comme un système complet. Bien qu’une partie du
corps puisse se mouvoir alors que le reste demeure détendu, ils ne
devraient jamais être isolés physiquement ou séparés psychologiquement
des actions des autres parties. /20/
Une
chose à se rappeler : il n’y a pas qu’une seule sorte de situation de
combat. Elles sont toutes différentes et on doit être prêt pour
n’importe laquelle. Un conflit peut avoir lieu la nuit ou le jour, au
chaud ou au froid, sur un sol glissant ou dans un sable bourbeux, dans
une forêt dense ou un jardin ouvert, dans un ascenseur, une voiture
-virtuellement n’importe où.
Un
conflit peut avoir lieu avec une seule personne ou avec plusieurs. Il
peut être rapproché ou à distance. On peut être fatigué, malade ou
blessé. Souvent il nous arrivera de combattre sans échauffement
psychologique ou physique. On ne saura jamais dans quelles conditions la
confrontation aura lieu.
Par
ailleurs, On ne devrait pas considérer l’art martial russe comme un
sport. Le but du combat à mains nues est de survivre dans des
environnements extrêmes et imprévisibles. Les conflits réels n’ont pas
lieu dans un salle de sport.
Il
est aussi très important de ne pas tout donner, comme on peut le faire
dans un concours sportif. Il faut qu’on réserve des forces pour survivre
après sa victoire, se soigner, aider ceux qui en ont besoin, se sortir
d’un piège ou accomplir ce qui est nécessaire.
Le
système russe reconnaît qu’un combat peut aussi avoir lieu dans
n’importe quelle position physique. Les recrues apprennent donc à se
défendre dans une « posture de conversation ». Cela peut être n’importe
quelle position dans laquelle ils peuvent se trouver à ce moment-là, y
compris les positions assises et couchées. Nous étudions aussi comment
nous défendre dans des positions communes dans lesquelles les bras et
les jambes se trouvent dans une position inconfortable pour commencer un
combat.
Les
postures fixes et les poses menaçantes qu’on peut trouver dans les
autres arts martiaux sont en contradiction avec le principe de la
préparation immédiate nécessaire aux /21/ arts russes et à leur mise en
valeur de la continuité du mouvement. Ces postures ne sont pas
pratiques, c’est pourquoi aucune n’est incluse dans le système.
Comme
l’a écrit un jour le maître d’arts martiaux Bruce Lee: « Les
applications des techniques elles-mêmes ne servent pas à grand-chose
dans le combat de rue. Il est difficile d’appliquer les principes du
Kung Fu classique ou du karaté dans la vie. Dans des confrontations avec
des opposants qui n’ont aucune connaissance des techniques des arts
martiaux classiques, ces opposants ont des réactions et des
comportements qui sont complètement imprévisibles. »
Dans
un grand nombre de cours d’arts martiaux, on passe trop de temps à
apprendre des poses irréalistes et des mouvements classiques qui n’ont
plus aucune signification. Bien que cela puisse avoir une beauté
particulière et que le rituel puisse être motivant, cela ne prépare pas
les étudiants à un combat réel.
Cela
ne signifie pas que ce type d’entraînement n’a aucune valeur. Il
apporte une sorte d’ordre ou une structure interne et externe et une
organisation de l’entraînement. Ces remarques ne devraient pas nous
faire négliger l’importance des poses du corps et du langage corporel
d’une quelconque façon. Le langage corporel nous dit beaucoup de choses
sur un attaquant et ses intentions.
La
manière dont on positionne son corps en réponse à une menace possible
peut aussi apporter un grand avantage. Il peut être utile parfois
d’exprimer de la faiblesse, une menace, de l’indifférence ou un trouble,
avec son corps. Il est aussi très important d’être capable de prendre
des postures inhabituelles ou inattendues. Mais tout de même, c’est le
mouvement naturel, la réaction naturelle d’une personne à des situations
imprévisibles, qui définit l’art martial russe. La plupart de ces
réactions vient d’instincts de défenses innés.
Le
fait qu’il n’y a pas deux combats de rue ou de situations de combat qui
sont identiques s’accordent avec la philosophie du « mouvement
naturel ». Il serait impossible de préparer et de mémoriser toutes les
réponses possibles à une situation particulière. On ferait face à un
nombre quasi infini de possibilités.
C’est
pourquoi il est plus pratique et efficace de devenir consciemment
attentif envers ses mouvements naturels et d’arriver à les comprendre
/22/ et les utiliser comme les fondements d’un entraînement approfondi
pour « apprendre à son corps à penser. »
Parce
que les étudiants dans l’art martial russe ne préparent pas au
préalable les frappes ou ne les répètent pas, le type d’attaque qui leur
fait face au cours de l’entraînement devient rapidement indifférent.
Dans le monde réel, ceci s’avère suprêmement pratique.
Vladimir Vasiliev & Ron Borland, The Russian System Guidebook, 1996, Optimum Training System, extrait du chapitre 4: l'entraînement des forces spéciales soviétiques.
Traduction @Mikolka
Disponible aussi sur le site de Systema Lyon.
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