Monday 12 May 2014

Stage de Jérôme Kadian à Lyon (19-20 avril 2014)

Le week-end dernier eut lieu le stage avec Jérôme Kadian à Lyon, organisé par Lyon8 Systema et Systema Lyon.

Le chapitre 4 de Let Every Breath (Vladimir Vasiliev & Scott Meredith) commence par une description de la « natural body position », la posture naturelle du corps. Elle se résume par ces quelques points :
-corps détendu (sans tension inutile)
-dos droit et tête ajustée
-les épaules confortablement descendues et arrière
-les pieds au sol séparés d’un écart qui correspond à celui des (de l’intérieur des) épaules
-les genoux ne sont pas verrouillés, mais sans tension
-les mains sont pendantes, pouces tournés vers l’avant ou placées sur les hanches.
Avec cette posture, la respiration circule librement. Et si la respiration fait son travail librement, alors les autres qualités physiques et neuromotrices sont actives de manière optimale sans nuire à la santé. Si on stresse la respiration, on casse la position naturelle. Casser la posture signifie créer des déséquilibres dans le jeu des forces du corps ou provoquer des mauvais alignements. En d’autres mots, on met de la tension. La tension est ce qui nous fait sortir de cet équilibre parfait qui est la position naturelle.
Il est très difficile de manipuler ou de combattre contre une personne qui est dans une position naturelle. C’est pourquoi le Systema tente avant tout de briser par un moyen ou un autre cette position. Comment casser cette posture ? Selon moi, il y a deux moyens : ou bien on joue avec le mouvement, ou bien ou joue avec les tensions. Si on joue avec le mouvement du ou des partenaire(s), on essaie de capter les moments de déséquilibres, les moments de transition de posture dans lesquelles les alignements des chaînes fonctionnelles du corps ne sont pas encore ou ne sont plus en place. Si on joue avec les tensions, alors deux voies s’ouvrent à nous, selon Vladimir Vasiliev, dans son article sur l’action courte : ou bien on suscite des tensions (voir le test de TonyBlauer, qui suscite une tension dans le haut du dos par des flexions/extensions de la tête), ou bien on renvoie l’autre à ses propres tensions en étant plus calme et détendu pour localiser et impacter les tensions du partenaire/agresseur.
Jouer sur les tensions ou sur le mouvement reviennent tous les deux à éloigner le partenaire ou l’agresseur de la position idéale. Jérôme Kadian, dans le stage organisé par Systema-Lyon et Lyon 8 Systema à Lyon, me semble-t-il, s’est principalement concentré sur le jeu avec les tensions et plus particulièrement sur le fait de susciter des tensions. Susciter des tensions et jouer avec est l’objet de l’action courte. Mais comment susciter des tensions ? Comment jouer avec ? Et comment doit-on être pour être capable de jouer avec les tensions d’autrui ?

1) Jouer avec les tensions : se familiariser avec la position naturelle
Ce travail n’aurait pas de sens s’il n’était pas tout d’abord fondé sur une étude de la position naturelle. Et tel fut le thème du samedi matin. Il me semble que Jérôme a abordé la question de la position naturelle sous 4 angles : la respiration, les étirements, l’équilibre et la perception d’autrui. Mais tous étaient orientés vers les mêmes buts : contrôler la tension, séparer les éléments, unifier la structure, économie des mouvements, percevoir des qualités motrices et physiques (internes et externes, ou en soi et chez autrui).
Je ne vais pas détailler les exercices, car d’une part, ce serait trop ennuyeux pour le lecteur et pour le rédacteur ; d’autre part, ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on fait, mais pourquoi et comment on le fait. Ce n’est pas un exercice qui donne la santé ou rend plus fort, mais notre manière de gérer un état et un mouvement dans la situation contrôlée qu’on appelle « exercice ». Comme le disait Matt Schifferle dans « Turning the mind-muscle connection », « Matt, exercices don’t work your muscles, only your brain can do that. (Matt, ce ne sont pas les exercices qui font travailler tes muscles, il n’y a que ton cerveau qui puisse faire cela.) »
En ce qui concerne la respiration, Jérôme s’est appuyé sur le principe de la vague (expliqué dans Let Every Breath) pour nous permettre de percevoir et de gérer nos tensions, de séparer les éléments du corps, d'unifier la structure et de mieux percevoir notre activité interne. Nous sommes passés ensuite aux étirements. Par étirement, il ne faut pas entendre des postures dont le seul but consiste à éloigner deux articulations reliées par des fibres musculaires de telle sorte que celles-ci soient étendues. En Systéma, les étirements peuvent être beaucoup de choses. Ici, on a beaucoup travaillé sur la structure générale, et ce genre de travail commence avec une bonne perception de soi. C’est pourquoi nos premiers étirements ont été des étirements internes : les viscères, les muscles de la cage thoracique par la respiration, puis tout le corps seulement avec la respiration.
La suite des étirements consistait à chercher des alignements du corps dans des mouvements. Nous avons passé ensuite un moment sur l’équilibre, l’une des qualités motrices majeures pour tout mouvement.
Cette préparation personnelle visait à nous familiariser avec des éléments de la position naturelle. La suite de la mâtinée nous préparait à l’après-midi. L’idée était de nous familiariser avec l’application en combat des principes vus précédemment, c’est-à-dire de nous faire explorer comment nous pouvions jouer avec ces principes en les controlant chez autrui tout en restant bien conscient de ces principes chez nous.
Il s’agissait alors de gérer la tension d’autrui, de jouer avec la structure et l’équilibre d’autrui avec économie, tout en veillant à utiliser ces principes à nous-mêmes pour garantir notre propre santé et sécurité. Là les principes directeurs de l’après-midi commençaient à se montrer : donner de la tension, se détendre et s’aligner, tout en donnant une direction.


2) Jouer avec les tensions : briser la position naturelle
Après avoir pris conscience de la position naturelle, chez soi et chez autrui, se posait la question de savoir comment briser la position naturelle d’autrui en combat.
Jérôme nous a fait explorer cette voie samedi après-midi en utilisant 3 axes : des exercices de segmentation du corps, des éducatifs préparatifs et des mises en situation.
Le début de l’après-midi, nous avons fait des exercices en solitaire et avec partenaire pour segmenter les parties du corps : haut et bas, articulation par articulation. Le Systema insiste à la fois sur l’unité structurelle du corps et sur l’indépendance de chaque élément du corps.
C’est pourquoi on explore régulièrement les éléments du corps les uns après les autres séparément, mais aussi la dimension structurelle. En ce début de samedi après-midi, on s’est surtout concentré sur l’indépendance des éléments, en haut et en bas. Pourquoi un tel travail ? D’abord pour la santé. Travailler sur les articulations, l’une après l’autre, permet de révéler l'amplitude réelle de mouvement de nos articulations, sans la compensation des autres et avec leur résistance réelle due aux mauvais traitements qu’on inflige à notre corps. Par ailleurs, cela révèle notre degré réel de contrôle et de conscience de nous-mêmes. Souvent, avec les tensions, on forme des blocs des tensions qui englobent plusieurs articulations qui sont autant de zones vagues sur lesquelles nous avons aucun contrôle. Et comme l’écrit Scott Meredith dans Let Every Breath : « You can’t control what you don’t feel (on ne peut pas contrôler ce qu’on ne sent pas). » Ensuite, cela importe pour le combat. En effet, c’est la source de tout travail furtif, qui est une manière d’aborder et de terminer efficacement un combat. Le travail furtif n’envoie aucun signaux préalables au partenaire sur le fait de frapper et sur les caractéristiques de la frappe (intensité, direction, profondeur, rapidité, technique, etc). Un mouvement préparatoire du pied est déjà un signal. Là l’entraînement consistait à mobiliser les éléments de manière séparée : main, coude, épaule ; pied, genou, hanche. Sans mobiliser le reste du corps.
En complément de cette approche analytique du corps, les exercices préparatoires nous ont remplacés dans une situation plus proche du combat, avec une approche plus synthétique du corps. Il s’agissait alors de trouver un alignement, de maîtriser sa propre tension tout en conservant la possibilité de segmenter le corps. Les pompes des épaules ont servi notamment à remplir cette fonction.
Un exercice simple en apparence, les pompes des épaules permettent de travailler plusieurs objectifs : donner une direction à son épaule, aligner le reste de la chaîne musculaire, ne pas tendre inutilement d’autres parties et ne mobiliser que cette partie.
Ce qui nous amène à la dernière partie : les qualités de l’action courte. Nous avons travaillé l’action courte dans le contexte de la frappe au poing et le haut du corps, la frappe au pied et le bas du corps, et l’exploration libre des deux. Quelles sont ses qualités ? Alignement, segmentation, timing, contrôle de la tension d’autrui par des chocs, précision, séparation du haut et du bas, saisie des opportunités. On les a travaillés en statique, en dynamique
et dans un contexte de combat plus ou moins libre. Il était intéressant de voir combien l’action courte casse la position naturelle sans détruire le partenaire. Elle inflige juste ce qu’il faut de dommages pour pouvoir manipuler, prendre contrôle d’un partenaire sans pourtant le rendre indisponible pour le prochain entraînement.


3) Jouer avec les tensions : un travail interne d’humilité
On ne peut pas jouer avec les tensions des autres si on n’est pas conscient, si on n’a pas accepté et si on ne sait pas travailler avec ses propres tensions. Ce fut l’objet de la matinée, dimanche 20 avril.
Une grande erreur du débutant, moi y compris, est de vouloir supprimer ses tensions. On cherche des mouvements parfaits. On essaie d’être complètement détendu. On fait délibéremment très attention de ne pas abimer son corps et le corps d’autrui (parfois…). On essaie au niveau mental de ne pas se crisper. Et au niveau émotionnel, de se focaliser sur des émotions positives. Cette approche a du mérite et elle part d’un bon sentiment ! Mais son défaut principal est qu’au final, l’entraînement rate complètement sa cible. Car à vouloir supprimer ses tensions on finit par ne pas savoir qui on est. Comme le disait Stéphane Vartanian (instructeur de Systema-Lyon) récemment : il n’y a pas de gens sans tension, il n’y a que des gens qui ont des tensions mais qui n’en ont pas conscience et des gens qui ont des tensions mais qui en ont conscience. Tout le problème est que si l’on n’a pas conscience de ses tensions, par ignorance volontaire ou involontaire, alors on finit par s’entraîner sans faire ce qui correspond à nos besoins réels.
On finit par entraîner soi-même quelqu’un d’autre. L’objectif d’un bon entraînement est de faire sortir les tensions telles qu’elles sont, là où elles sont. Un entraînement est une sorte d’épiphanie mêlée d’une catharsis : révéler, observer et accepter humblement. C’est le seul moyen d’avoir un entraînement qui nous corresponde en réalité. Mais cela suppose de travailler à notre niveau réel, pas au niveau qu’on aimerait avoir.
Et c’est précisément pour cette raison qu’il s’agit d’abord d’un travail moral, un acte d’humilité.
Et on fait tout ça avec un bâton. C’est fou tout ce qu’on peut faire avec un bâton, n’est-ce pas ? Jérôme nous a proposés divers exercices, fondés sur les quatre exercices de base du Systema : pompes, squat, lever de jambes et lever de buste. Mais ces exercices variaient des classiques, car ils utilisaient le bâton. On l’a utilisé aussi pour une marche respiratoire, en le suspendant au-dessus de notre tête, bras écartés pour ouvrir notre poitrine. En quasi hyper-extension, l’avant du corps est très vulnérable. La tête tourne vite, les tensions s’accumulent dans les épaules. On cherche à changer de position, à contourner la douleur et les tensions.

Mais là, il fallait conserver la position en respirant. Ne pas contourner, regarder en face et accepter.
La fin de la mâtinée était consacrée à des exercices qui avaient une double fonction. D’une part, ils reprenaient des éléments étudiés le jour précédent : directionnalité, destructuration, timing, chocs sur les gros muscles pour surprendre et manipuler. D’autre part, ces exercices nous préparaient au thème d’étude de l’après-midi : bâton et multi-agresseurs.


4) Jouer avec les tensions : l’opportunisme radical
Dans un article, Vladimir Vasiliev dit que lorsqu’il a des débutants, il propose souvent un exercice de mass attack. La raison en est la suivante. Un débutant est en souvent en proie à l’ego lorsqu’il se rend pour la première fois à un cours de Systema et le mass attack est une manière simple et efficace de résoudre ce problème.
Dans un mass attack, les attaques viennent de partout. Lorsque le débutant prend le premier coup, il se tourne dans la direction d’où vient le premier coup pour le rendre. Sauf que, pendant le temps que lui a pris cette réaction, l’auteur du coup est déjà parti, et le débutant a pris probablement plus d’un coup venant d’autres directions. Il ne sait plus où donner de la tête. De la fumée sort de ses oreilles. Il finit par abandonner l’idée de rendre coup pour coup et commence simplement à frapper ce qui vient comme cela vient. Il passe de la vengeance à l’opportunisme radical.

Il lâche l’idée de caresser dans le sens du poil son ego indigné, pour travailler seulement son attention. 
Faire exploser l’ego et révéler le pouvoir de l’attention est un but du mass attack, qu’il s’agisse du combat à mains nues ou avec une arme telle que le bâton. Jérôme nous a fait explorer cette voie le dimanche après-midi, d’abord avec des exercices pour s’accoutumer avec le contact du bâton, puis avec des exercices qui introduisaient plusieurs partenaires et des comportements de plus en plus libres. Avec la respiration, la désolidarisation du haut, du bas et des membres, on s’essayait aux joies de l’action courte avec un bâton : donner peu de signaux, rebondir sur l’action, jouer avec les tensions et casser la structure.
Les exercices nous faisaient d’abandonner l’idée de nous venger face à ce que nous faisait subir nos partenaires, et nous amenaient à jouer avec les opportunités. Nous avons terminé avec des massages pour récupérer.


Au final, ce stage organisé par Systema-Lyon et Lyon-8-Systema, a fédéré presque une centaine de personnes sur 2 jours, autour de Jérôme Kadian. Les exercices proposés étaient accessibles à tous et comportaient plusieurs niveaux d’interprétation. Jérôme était très accessible et modifiait la réalisation des exercices en fonction des capacités des pratiquants.



Post-scriptum
Après avoir rédigé ce texte, je me suis souvenu que Scott Meredith abordait la question de la manière de casser une posture dans Let Every Breath (chapitre 4, dans le deuxième paragraphe après le tableau qui résume les éléments clés de la posture naturelle, p 52). Voici ses propos : "When you are either over-tensed or unbalanced, or bent in any subtle way, or if your breathing becomes discontinuous, your natural position will break... and then you can be easily manipulated by your partner" (Si on est, ou bien trop tendu, ou bien déséquilibré, ou bien courbé même d'une manière quasi imperceptible dans une direction quelconque, ou bien si notre respiration est discontinue, alors la posture naturelle se brise... et on peut être alors facilement manipulé par notre partenaire.) Scott Meredith mentionne quatre facteurs pour impacter et jouer avec la posture d'autrui : la tension, l'équilibre, l'alignement et la respiration. Mais Let Every Breath étant accès sur la santé et non sur le combat, il ne parle pas des manières de susciter ou trouver des tensions, de déséquilibrer, de changer l'alignement ou de provoquer de l'irrégularité dans la respiration chez autrui.


Les propos du rédacteur relèvent de sa responsabilité et ne reflètent pas nécessairement la nature du Systema-Vasiliev-Ryabko.

Sunday 23 February 2014

Les 7 principes de la respiration Systema [Let Every Breath]

« La Sagesse a bâti sa maison, elle a taillé ses sept colonnes… » (Proverbes, 9.1)

Le système de respiration russe ou la respiration Systéma s’applique à tout moment conscient de la vie ! On peut se demander comme un système peut couvrir autant de choses. Après tout, la vie est faite de variations à l’infini. Les principes présentés dans ce chapitre procurent les fondements pour l’entraînement de la respiration et toutes nos activités quotidiennes. Soyez bien conscients que notre respiration est notre vie. C’est pourquoi, ces principes sont des « Lois de vie » qui soutiennent et permettent d’aller au-delà de chaque exercice. Ils s’appliquent à tout ce qui est présenté dans ce livre. Je renverrai à ces principes au fur et à mesure de l’introduction des activités et des entraînements spécifiques dans les chapitres qui suivent.
Avant d’aborder les principes, je voudrais m’attarder sur quelques idées préalables. Le gros problème qu’on rencontre quand on doit utiliser nos capacités dans la vie quotidienne est qu’on retient et qu’on entrave notre respiration sans s’en rendre compte.

Alors pourquoi ne respirons-nous pas correctement ? Il y a deux types fondamentaux d’entraves :

(1) Le blocage psychologique de la respiration.
On entrave souvent le cycle de la respiration en réponse à un /40/ [pagination de l'original] facteur stressant quand un événement inattendu se présente (avec la tension de notre esprit ou une réaction physique) ou à cause d’habitudes psychologiques, comme l’anxiété ou la peur. Ces blocages peuvent être des réactions inconscientes à un mouvement ou un son soudain, ou à une émotion intense. Même les actions les plus simples peuvent provoquer des blocages de la respiration. Par exemple, signer un chèque, mettre sa clé dans la serrure ou entendre un bruit derrière soi peuvent nous conduire à des tensions et un blocage de la respiration, même s’il n’y a pas de réelle menace.

(2) Le blocage physique de la respiration.
On peut avoir des zones avec des limitations dans le corps. On peut avoir des zones de tensions physiques, une maladie, une douleur ou une fatigue qui entrave le flux naturel de la respiration. Les zones de blocages physiques dues à des tensions, une mauvaise posture ou une blessure peuvent persister pendant des années. Les pratiques de respiration introduites dans ce livre peuvent nous aider à dépasser des obstacles.

Votre attention s’il vous plaît !
La respiration du Systema met donc de l’importance sur deux conditions fondamentales :
  • La respiration est continue en permanence, quoiqu’il arrive.
  • La respiration se répand dans le corps entier.

Le premier objectif de ce livre est de vous aider à réaliser ces conditions fondamentales. Elles paraissent simples. Mais quand on est attentif à soi-même pendant des activités quotidiennes ou qu’on réalise les exercices enseignés dans ce livre, on se rend compte combien il est difficile de les remplir. Et on comprend alors quel pouvoir formidable pouvoir peut dériver de leur maîtrise.

La respiration du Systema comparé au Yoga et au Qi Gong.

D’un point de vue historique, de nombreuses méthodes différentes pour entraîner la respiration, le mouvement et la posture ont été enseignées. Ces méthodes se présentent souvent avec un bagage historique impressionnant, et sont souvent reliées aux traditions thérapeutiques et religieuses de l’Inde et de la Chine. En chinois, qi gong se réfère à une large famille de pratiques pour accroître l’énergie et la santé grâce à /41/ la respiration et des mouvements précis. Les pratiques du pranayama et du kundalini dans le yoga indien incorporent de même des motifs de respiration accompagnés de postures précises et des mouvements qui sont censés améliorer la santé et la spiritualité. À cause du fait qu’elles utilisent la respiration, ces pratiques peuvent superficiellement sembler similaires à l’entraînement russe. En réalité pourtant, la philosophie, l’attention et la pratique de la respiration du Systema diffèrent fondamentalement de ces méthodes.
Les méthodes du yoga et du gi gong cultivent graduellement une conscience de la respiration par de longues séries de postures compliquées. Ces méthodes requièrent souvent une concentration extraordinaire sur les états internes et un contrôle physiologique extrême. En revanche, dans le système russe, la respiration devance seule tout le reste.

Votre attention s’il vous plaît !
Tout ce qui est grand est simple. Nous n’avons pas besoin de faire des activités extrêmes qui s’écartent énormément de notre vie quotidienne. Nous avons déjà tout ce qu’il nous faut sous la main.

Le Systema nous apprend seulement à étendre notre conscience et l’usage pratique de ce que nous avons déjà sous la main. La respiration du Systema n’implique pas d’apprendre des postures physiques sophistiquées ou complexes. Enfin, Mikhail ne se réfère pas plus à des canaux imaginaires profonds d’énergie surnaturelle dans le corps, qu’il n’implique dans sa méthode des concepts obscurs.
Les postures, les exercices, et les procédures du Systema Ryabko sont simples par leur structure et leur forme. Les bénéfices arrivent quand on commence à mieux comprendre ses émotions, son esprit et son corps naturels sous des conditions difficiles mais contrôlées. Les maîtres russes reconnaissent que la réalité peut être dure à avaler. Certaines personnes peuvent penser qu’elles peuvent atteindre un état mystique de parfait équilibre physique et de hauteur d’esprit dans leur chambre tranquille avec ses tapis moelleux, des chansons agréables en bruit de fond et un parfum d’encens qui flotte dans les airs. Mais savent-elles, ces personnes, ce qui restera de leur élévation et de leur équilibre physique face au froid, à la faim ou face à un stress extrème ? Comment /42/les expériences mystiques s’appliquent-elles efficacement aux frustrations du travail ? à la fatigue due à l’éducation des enfants, ou aux urgences de la self-défense ?
Personne ne veut souffrir, mais un degré de stress contrôlé à l’entraînement peut nous apprendre beaucoup de choses. La respiration Systema simule en toute sécurité les stress extrêmes de la vie, ce qui permet d’y faire face et de les dépasser dans les conditions aisées à manœuvrer de l’environnement de l’entraînement, et, de cette manière, on se prépare aux rencontres stressantes inévitables de la vie quotidienne.
Le Systema propose des défis qui se situent à la limite de votre niveau de force actuel. Et ils sont réalisés grâce à des postures et des enchaînements connus de tous et dépourvus de tout danger. Ces postures sont si simples que n’importe qui peut les réaliser, sans entraînement spécifique préalable, et dans tout environnement ordinaire.

La circulation de la respiration

La respiration est bien plus qu’un procès mécanique, bien plus que le fait de remplir les poumons comme on le ferait de deux sacs d’air. Un engin comme le soufflet pour le feu ou un poumon d’acier[1] ont une fonction mécanique. Chez les êtres vivants cependant, la respiration est processus chimique complexe qui engage toutes les cellules de notre corps, à chaque respiration que nous faisons.
Quand on s’entraîne à la respiration Systema, on commence à sentir cette vérité que la respiration est le processus physiologique majeur de notre corps. La respiration relie le système de respiration aux six autres systèmes physiologiques majeurs (les systèmes circulatoire, musculo-squelettique, nerveux, endocrine, digestif et génito-urinaire). La respiration ne s’arrête pas aux poumons ! Quand on comprend cette idée « simple » et qu’on commence à la sentir, on vient de passer une étape majeure dans le chemin de son entraînement. L’inspiration continue dans tous les tissus et l’expiration expulse les déchets de tous les autres systèmes.

/43/ Les sept principes :

1. Le nez et la bouche.
Le principe de l’inspiration par le nez et de l’expiration par la bouche : pour tout exercice décrit dans ce livre, on doit toujours inspirer par le nez et expirer par la bouche.
Quand on inspire par le nez, on se rend compte que le corps contrôle mieux le volume et la vitesse de la prise d’air. En conséquence, les muscles qui régissent les poumons ont tendance à être plus détendus, sans les tressaillements et les à-coups irréguliers qui accompagnent l’inspiration par la bouche. Cela permet de respirer d’une manière plus complète.

Petite expérience à réaliser tout de suite !
Effectuez quelques cycles de respiration longs et profonds. Au début, n’utilisez que la bouche, puis changez et n’utilisez que le nez. Il y a de fortes chances que vous sentiez de l’anxiété monter dans la poitrine quand vous inspirez avec la bouche, notamment autour du cœur. En revanche, vous aurez peut-être un sentiment de détente se répandre dans tout le corps quand vous inspirez par le nez.

L'inspiration par le nez est la première étape pour améliorer le contrôle de son corps. Au cours d'une situation stressante, cette méthode de respiration seule peut être utilisée pour calmer l'esprit et se préparer à accomplir des actions importantes. Le nez effectue aussi une filtration importante et une régulation de la température de l'air entrant.
Essayez de faire la même comparaison avec l'expiration. On commencera à sentir que l'expiration par la bouche permet d'avoir une expulsion de l'air plus agréable et apaisante. L'expiration par le nez tend à accroître l'anxiété et à produire le sentiment de ne pas réussir à expirer assez rapidement ou assez complètement.
/44/ Même des expériences ordinaires avec des inspirations par le nez et des expirations par la bouche peuvent montrer combien cette méthode est naturelle. Ce principe s'applique aussi à toute session d'entraînement en respiration Systéma, et aussi à toute situation stressante de la vie. Bien sûr, nous savons tous qu'il y a des situations sociales de la vie où l'expiration par la bouche n'est pas des plus appropriées. A ces moments-là, il faut se rappeler les autres idées utiles enseignées par Vladimir et Mikhail : adaptez-vous. Ne soyez pas des extrémistes. Soyez normaux !

2. La direction
Le principe de la direction par la respiration. La plupart des exercices des respiration enseignés dans ce livre se fait en combinaison avec une activité physique. La respiration et l'activité physique sont un processus unifié. Cependant, quand on effectue une action physique, la respiration est la composante la plus importante.
La respiration Systéma suggère de débuter tout mouvement ou cycle d'exercice avec une respiration (inspiration ou expiration) avant que le mouvement physique ne commence. C'est seulement quand l'action de respirer a commencé que le mouvement physique « accompagne ». Il devrait y avoir un léger décalage entre la respiration et le mouvement physique. On utilise sa respiration pour pousser ou tirer dans les mouvements physiques.
Voyez comment fonctionne le moteur d'un train. La plupart des moteurs de train tire avec un attelage. C'est un dispositif spécial de liaison situé entre les wagons qui permet au moteur de commencer son propre mouvement,, puis à commencer graduellement à tirer les wagons suivants, qui suivent le mouvement naturellement. Au final, tous les wagons du train sont en mouvement, mais chacun avec un temps de décalage relatif à son prédécesseur. Finalement, des milliers de tonnes de métal (la totalité du train) cheminent en continu. De la même manière, la respiration est un moteur qui doit exercer une traction directrice sur le travail physique de votre corps.
Le principe de la direction par la respiration nous rappelle que la respiration a la priorité dans tout travail physique et dans tout exercice de /45/ respiration Systéma. Il n'est pas question ici de faire saillir ses muscles pour les faire admirer. Une respiration libre et complète, comme on le verra dans les autres principes, est étouffée par des tensions inconscientes ou indésirables ou du stress dans le corps. Pour respirer correctement, on doit se détendre. On commence toute activité par une respiration détendue.

3. La suffisance
Le principe de l'apport suffisant. Une personne qui essaie de respirer complètement et profondément inspire en général autant d'air qu'elle le peut. Ca se comprend, mais c'est une erreur. Une inspiration trop forcée provoque des tensions immédiates dans le cou et la zone des clavicules. Cette pression, en retour, entrave la respiration. Le corps peut alors complètement se fermer et être bloqué par cette pratique. Au fil du temps, on finit avec une oxygénation inadéquate, utilisée de manière inefficace.
C'est pourquoi, on ne doit pas essayer d'inspirer autant d'air qu'on peut. Au lieu de cela, on doit prendre autant d'air que nécessaire pour la réalisation de la tâche dans laquelle on est engagée, juste ce qu'il faut en air pour notre corps à un moment donné. Il faut essayer d'être sensible aux demandes réelles du corps. On prend juste la quantité suffisante en air, et on la fait passer en continu à toutes les parties du corps. Cela permet de conserver un état de détente et rend graduellement la respiration complète et appropriée pour la tâche ou la situation. Mais on ne peut pas le faire si inversement on raccourcit l'inspiration ou l'expiration.
Dans la respiration naturelle du Systema, on reste détendu. Donc, sans tension dans le cou et la zone des clavicules, sans forcer, on laisse son corps inspirer autant qu'il le veut. En inspirant, on détend son corps. En même temps, on essaie de sentir que l'air inspiré se répand doucement et continûment dans la totalité du corps. Le souffle va se diffuser naturellement dans les endroits du corps les plus souples et détendus. Il se détournera des tensions et des zones endurcies. Après une pause naturelle, lors de l'expiration, l'air sort doucement et en continu dans toutes les zones du corps, sans forcer brutalement et sans stress.

/46/ Petite expérience à réaliser tout de suite !
1. On inspire complètement. On sent alors comment cela tend à faire trop monter la partie supérieure des poumons, comment cela produit des tensions dans le cou, les épaules, et les muscles de la poitrine. On expire.
2. On inspire autant d'air qu'on en a besoin à ce moment précis. On remarque alors qu'on ne se sent pas autant rempli, mais que l'inspiration est profonde et calme. On expire.
3. On laisse la respiration suivante se faire avec la même détente et le même calme que la précédente. Si on a bien inspiré « juste ce qu'il faut » lors du 2, on va inspirer naturellement un peu plus d'air, parce que les muscles du haut du corps seront détendus, ce qui permet d'accroître naturellement sans effort la capacité d'apport en air.

Si on respire de cette façon, le corps commence à se détendre. Cela permet au corps de se libérer lui-même de tensions chroniques. On se rend compte aussi qu'on devient plus conscient de tensions qu'on n'avait jamais remarqué consciemment auparavant. Les actes de respiration deviennent plus longs et profonds. Cela conduit à augmenter naturellement la quantité d'air inspirée. Quand cette augmentation naturelle survient, on la laisse aller jusqu'au bout. Cette expansion graduelle de la capacité de respiration est très différente d'une inspiration forcée. Quand la capacité commence à s'étendre naturellement, on ne met pas de bâton dans les roues à la respiration en la supprimant ou en l'entravant !

4. La continuité.
Le principe de la continuité de la respiration. La respiration ne doit jamais être arrêtée, interrompue ou brimée. On inspire et on expire de manière continue. On ne retient pas sa respiration et on ne l'arrête pas, sauf si on a un objectif d'entraînement précis (comme on le verra dans les chapitres suivants).
Pour bien comprendre ce point, on peut penser à une situation de la vie réelle où des arrêts de la respiration et des étouffements arrivent souvent. Cela peut être une peur liée à une son inattendu (« Bouh ! »), ou un mouvement brutal ou un faux pas. On peut aussi faire attention à sa respiration quand on se concentre sur quelque chose, comme /47/ quand on insère un fil dans une aiguille, quand on compose un numéro de téléphone, ou quand on verse le thé. Bloque-t-on sa respiration dans ces moments-là ?
On doit faire attention aux endroits du corps qui ont des contractures, qui sont douloureuses ou fatiguées. On doit essayer de se rendre compte si on respire librement dans chaque partie du corps. Parfois, on arrive à sentir la tension qui bloque le flux de la respiration. Quand on commence à faire les exercices de la respiration Systema, on remarque de plus en plus les interruptions de la respiration et on apprend à retrouver la continuité immédiatement. Apprendre à emmener la respiration dans les zones où elle est bloquée ou interrompue est un compétence clé dans la respiration du Systéma. Avec de la pratique, on devrait réussir à sentir le flux continu de l'oxygène et de l'énergie qu'il transporte.

5. Le pendule
Le principe du mouvement pendulaire. Un pendule se meut selon un cycle simple et continu, d'extension et de contraction, d'aller et retour. La respiration est analogue à ce type de mouvement cyclique. Pensons à l'extrême fin d'une oscillation du pendule. Il a l'air de s'arrêter pendant une micro-seconde lors qu'il atteint son extension maximale. Lors de la respiration, on devrait faire attention à la toute fin de chaque acte d'inspiration et d'expiration. Le moment juste avant que l'acte d'inspiration ou d'expiration n'atteigne sa complétion est très important. La toute fin d'un acte d'inspiration est quand le plus grand flux d'oxygène et d'énergie s'est répandu dans les tissus du corps.
Le principe du mouvement pendulaire de la respiration du Systema enseigne que la respiration doit être continue et stable. On ne commence pas à expirer avant d'avoir fini son inspiration et vice-versa.
Cet exercice nous aide à « avoir la sensation » du point de renversement. On apprend par l'expérience qu'on peut repousser les derniers moments d'une inspiration et d'une expiration naturellement et sans forcer. Si les derniers moments d'une inspiration et d'une expiration manquent /48/ ou sont bâclés, ou accélérés, la respiration ne sera pas continue.
Imaginons un pendule qui se heurte à un obstacle avant d'atteindre la fin naturelle de son oscillation. Après cet impact, il sera forcé de changer de direction brutalement. C’est un exemple de changement forcé. Mais si le pendule bouge librement, sans entrave, alors, après avoir atteint la fin de son mouvement dans une direction, il changera son mouvement pour l'autre direction en continu. La position du pendule à l'extrême fin est comme la pause naturelle de respiration (sans arrêt forcé) qui se situe entre l'inspiration et l'expiration.


Petite expérience à réaliser tout de suite !
1. À partir d'une position détendue (assise ou debout normalement), rester détendu et inspirer une quantité confortable d'air.
2. Quand on sent que l'inspiration atteint sa complétion naturelle, prolonger délicatement l'inspiration un tout petit peu plus, confortablement, sans produire des tensions perceptibles.
3. Quand on sent que prolonger l'inspiration produirait des tensions, laisser le cycle se renverser naturellement en commençant l'expiration.
4. À la fin de l'expiration, sentir la pause naturelle avant de continuer au rythme normal.


6. L'indépendance
Le principe d'indépendance de la respiration. Les actions physiques ne devraient pas être invariablement liées à une seule phase de la respiration (inspiration, expiration ou pause). On devrait éviter de former une habitude d'entraînement où on lierait toujours une inspiration ou une expiration à une activité particulière.
Par exemple, imaginons qu'on soit au milieu d'un combat et qu'on ait besoin de frapper. Cela peut arriver au milieu d'une inspiration naturelle. Mais si l'entraînement préalable a créé une puissante habitude de frapper seulement sur l'expiration, on peut être retardé ou désorienté /49/ dans notre réponse, ou on va simplement rater la réalisation de notre frappe. La dépendance aux habitudes comme ce qu'on vient de voir peut produire des interruptions dans la respiration, des arrêts de la respiration, des hésitations dans le mouvement, une perte d'énergie, une perte d'équilibre, et d'autres conséquences néfastes.
Pour éviter ces habitudes néfastes et rendre notre respiration vraiment indépendante de nos actions, on peut faire des exercices de respiration avec des changements fréquents dans les phases respiratoires. Par exemple, si on fait des pompes (voir le chapitre 5) en abaissant le corps sur l'inspiration et en remontant le corps sur l'expiration, on devrait faire le même nombre de pompes avec les phases respiratoires inversées (abaisser le corps sur l'expiration et remonter le corps sur l'inspiration). Soyez attentifs aux bons exercices qui développent l'indépendance de la respiration qui sont présentés dans les chapitres suivants.

7. L'absence de tension
Le principe d'absence de tension. Comme on l'a vu plus haut, tous les exercices décrits dans ce chapitre sont destinés à contrôler la respiration, détendre le corps, renforcer les tendons et les ligaments, et, plus important encore, renforcer notre psyché. Nos muscles ne doivent être engagés le moins possible. Cela signifie que le corps doit être détendu tout le temps, même lorsqu'il accomplit les tâches les plus difficiles (comme relever le corps lors d'une pompe). On a besoin de vérifier notre état de détente, surtout quand on débute. Si nos muscles sont trop impliqués, ou si on tend inconsciemment des muscles qui ne sont pas impliqués par un exercice particulier, on va se fatiguer très rapidement. La détente nous permet de pratiquer assez longtemps pour pouvoir commencer le travail sérieux de la respiration. Le principe d'absence de tension sera expliqué et illustré en profondeur dans les chapitres qui suivent.

Des indications supplémentaires

Les sept principes sont le coeur et l'âme de la respiration du Systema. On peut ajouter d'autres idées d'entraînement et quelques bons conseils d'entraînement qui s'appliqueront à la plupart des méthodes de pratique. Ils seront introduits petit-à-petit au cours du livre, là où ils seront nécessaires. Mais pour l'heure, voici quelques idées d'entraînement en plus qui complètent les sept principes.

/50/ La respiration audible
Une bonne manière de comprendre le principe de la continuité de la respiration est de percevoir sa respiration avec la « respiration audible ». Pendant la respiration audible, on produit un léger son en inspirant ou expirant. Cela nous permet de faire plus attention à notre respiration. La respiration audible permet aussi de vaincre des blocages de la respiration dans des endroits douloureux, stressés, où la respiration n’arrive pas à aller.
La respiration audible ne signifie pas qu'on fait des bruits violents et forts. Elle n'implique pas que la respiration vienne de la gorge. Une respiration trop sonore peut devenir trop forcée, et provoquer des vertiges, des tensions et d'autres sensations peu agréables. La respiration audible devrait toujours sonner (et être ressentie comme) une personne qui essaie délicatement de dissiper une douleur et soulager une fatigue, dans une partie quelconque du corps. Elle est similaire aux bruits qu'on fait instinctivement quand on soulève quelque chose de lourd, ou qu'on s'assied après un dur labeur. Ce sont des réponses de détentes naturelles de la respiration, de la voix et du corps.
Quand on débute la respiration audible, elle peut être perçue par un voisin proche (quand on la pratique). Mais, avec le temps, avec plus de maîtrise, la respiration devient de plus en plus calme. Progressivement, le son va devenir de plus en plus doux, jusqu'à ce que les observateurs ne puissent plus rien entendre du tout. On aura alors vraiment atteint un bel objectif !

Un principe original

Maintenant je vais introduire un dernier « principe » original : Appréciez ce que vous faites ! Mikhail veut dire par cela qu'il ne sert à rien d'être un intégriste. Souriez quand vous explorez vos limites. Soyez heureux quand vous voyez que vos capacités progressent. La joie vient de faire des choses justes dans la vie. Pour faire des choses justes pour autrui, on doit devenir un individu en bonne santé, fort et humble. Tirer le meilleur de soi-même exige la maîtrise de la respiration. Il faut juste se souvenir qu'on doit s'amuser en cours de route.


[1] Iron Lung ou le poumon d’acier en français est un appareil d’assistance respiratoire non invasif inventé en 1928 par Philip Drinker et Louis Agassiz Shaw (Harvard Medical School). Avec l’apparition des intubations, il est tombé en désuétude et est utilisé seulement pour des cas rares et précis. Le patient est installé dans une chambre centrale, un tambour cylindrique en acier. La tête est installée dans un compartiment scellé étanche. Des pompes augmentent et diminuent de périodique la pression atmosphétique à l’intérieur de la chambre. Quand la pression descend en dessous de celle des poumons, l’air extérieur est aspiré par les voies aériennes supérieures et transmis aux poumons. Quand la pression remonte au-dessus de celle des poumons, l’air est expulsé (ndt).

Scott Meredith & Vladimir Vasiliev (2006), Let Every Breath, chapitre 3.

Traduction : Mikolka (2013)

Tuesday 11 February 2014

Le Mouvement et le centre de gravité flottant [The Russian System Guidebook, 1996] Vladimir Vasiliev

Différence avec les styles orientaux

Bien sûr, il n’y a ni rituels ni courbettes dans l’art martial russe. On peut serrer la main à son partenaire, mais ce n’est pas une salutation formelle.
On peut aussi sourire ou rire durant un sparring. En fait, le sparring est plutôt vu comme une exhibition dans l’art martial russe. Il n’est vraiment pas pris au sérieux. Le sparring devrait être accompli avec une énergie positive, en accord la philosophie générale russe. On respecte son partenaire.
Et après tout, si on est mortellement sérieux pendant un entraînement, comment restera-t-on vraiment sérieux quand une menace se présentera réellement devant soi ? La philosophie de l’art martial russe affirme que si on prend la vie et l’entraînement toujours au sérieux, alors on sera incapable de ou trop fatigué pour faire le /15/[pagination de l'original] changement de comportement nécessaire pour réagir face à une situation vraiment sérieuse.
Beaucoup d’arts martiaux traditionnels sont vraiment sérieux cependant. Les combattants ont l’air dur. Les rires et les blagues sont rares voire inappropriées. Les visages prennent une expression tendue ou sévère.
Les mouvements sont chorégraphiés. Si un opposant fait une action particulière, alors on va répondre avec une action spécifique et préétablie. On n’aura aucune versatilité. Mais si on prend le sparring comme un jeu, comme c’est fait dans l’art martial russe, alors on pourra agir avec intuition et liberté dans le mouvement. Cet aspect est essentiel pour une exécution correcte dans le système russe.
Il y a aussi les techniques de la « respiration orientale » que les autres arts martiaux utilisent. Tout ce relâchement d’air et d’énergie pour chaque coup, cette expulsion d’air, cela ne permet pas à l’entraînement d’être amusant ou comme un jeu. De même, les arts orientaux ont localisé un endroit autour du nombril appelé dantian. Il est considéré comme « la mer de la respiration interne », ou l’endroit où toute l’énergie interne, le chi ou le qi s’accumule.
Le style russe reconnaît aussi un point similaire dans le plexus solaire, juste derrière l’estomac, mais ce n’est pas une simple collection de points. Cette zone comprend un système puissant et interconnecté de terminaisons nerveuses, auquel les physiologistes se réfèrent souvent sous le terme de « cerveau de l’abdomen ». Ces terminaisons nerveuses sont une partie du système nerveux sympathique qui transmet des impulsions qui activent des réponses physiologiques aux organes internes. Quand le corps fait l’expérience d’une augmentation de l’intensité de l’activité ou d’une situation d’urgence, le système sympathique est stimulé.
Les terminaisons nerveuses du plexus solaire ont leur propre accès aux organes internes. Le plexus solaire agit ainsi comme une sorte d’approvisionneur d’énergie électrique aux organes internes, aux vaisseaux sanguins, aux glandes, et aux contractions musculaires pendant les périodes de stress. Là où le dantian oriental sert de réservoir, le plexus solaire russe est en interaction avec tout le corps. Encore une fois, cela coïncide avec le principe de liberté de mouvement, si important dans l’art martial russe.

L’importance de la mobilité

Le dantian représente aussi le centre de gravité d’une personne dans les arts martiaux traditionnels. Les combattants dans les écoles orientales sont plus en contact avec le sol. Ils ont tendance à prendre des positions fixes et stables. Cela vient de la nature de la vie dans les montagnes où ces arts ont leur origine. /16/
Rappelez-vous que la géographie et le climat, et la réponse biophysique donnent forme à la tactique pour un art martial spécifique. Dans les montagnes, les gens vivent et bougent de manière à minimiser les effets des intenses rayons ultraviolets et des vents perçants. En l’absence de chaise dans la vie quotidienne, les gens squattaient et s’asseyaient en croisant les jambes. Trouver un centre de gravité bas, pour améliorer la stabilité contre les éléments, était nécessaire.
Les conditions européennes étaient différentes. Le besoin de stabilité n’était pas aussi présent, et cela conduisit à un principe d’arts martiaux nouveau, « la mobilité ». Là où le centre de gravité bas procurait de la stabilité, le centre européen de gravité plus élevé procurait une plus grande mobilité. Dans le système russe, ce n’est pas la stabilité, mais la continuité de mouvement qui nous rend plus efficace.
Il est aussi important de noter que les arts martiaux orientaux se concentrent culturellement sur l’imitation des animaux. On croit que, si une personne imite le comportement des animaux dans ses mouvements, cela la rapprochera de la nature.
Mais le monde des hommes est vraiment différent du monde des animaux. De cette manière, ces mouvements ressemblants à ceux des animaux dans les arts orientaux ne s’accordent pas avec le style des mouvements humains. En fait, ils limitent ou entravent les mouvements naturels. Ce n’est pas bon pour le système russe. /17/
Dans la nature, chaque être a son identité. Un lapin par exemple, ne pourra pas jouer avec succès le rôle du loup. De même, un humain ne peut pas jouer le rôle d’un serpent ou d’un dragon. Cela perturbe les voies de la nature et le mouvement naturel sur lesquels nous nous reposons.

Les fondements du mouvement naturel

Les arts martiaux traditionnels ne sont pas vraiment spontanés. Ils reposent sur des habitudes de stimuli et de réponses. On apprend aux pratiquants que lorsqu’une attaque avec un bâton arrive selon un certain angle, on doit utiliser une réponse spécifique et prédéterminée, ou un blocage. Le contenu de l’apprentissage est « S’ils font ça, tu fais ça. » « S’ils arrivent sur toi de cette manière, tu bloques de cette manière ».
Mais ce n’est vraiment pas pratique. Et ce n’est pas bon non plus pour une personne qui n’a jamais eu à faire face à une attaque réelle. En effet, le principe n’a pas l’air de faire sens. Si quelqu’un attaque avec une batte de baseball lors d’un vrai combat, on n’utilisera pas un blocage. Sinon il y aurait de bonnes chances d’y laisser son bras.
Ce qui importe est d’apprendre quelle serait notre réponse naturelle à cette attaque. Même si cela a l’air illogique étant donné qu’on doit contrôler la peur, il est aussi important de faire l’expérience de la peur pour voir comment on réagit naturellement à une frappe.
Tout au début de mon entraînement aux SOU, toutes les recrues furent alignées et l’instructeur nous frappa l’un après l’autre de manière inattendue. Chaque personne a réagi de manière différente. Ils ont accompli des mouvements du corps différents pour s’échapper au même type de frappe. Chaque personne était unique par sa réaction.
On est né avec cette « réaction naturelle » et il est essentiel d’en devenir conscient quand on apprend le système russe. Nous devions savoir comment nous réagirions naturellement quand la réalité surviendrait. Chaque soldat devait apprendre à construire ses capacités de combat à partir de ses réactions naturelles. La technique s’appuyait en dernière instance sur ces premières réactions naturelles.
On fait la même chose dans ma classe. Quand un nouvel étudiant arrive on va l’attaquer, par exemple, avec un couteau à vitesse réelle pour voir comment il réagit. Il bougera spontanément d’une manière particulière.
Attirer son attention sur son mouvement l’aidera à prendre conscience de sa /18/ réaction naturelle. Il peut sauter, se pencher en arrière, plonger ou se couvrir. Tout mouvement est virtuellement acceptable. L’aspect important à retenir est que chaque personne réagit différemment et que ces réactions différentes sont des clés pour élaborer une défense.
On apprend ensuite à l’étudiant à construire quelque chose à partir de ce mouvement naturel. De cette manière, on ne s’oppose pas à son mouvement naturel, mais on l’utilise à son avantage. Si sa réaction naturelle est de se pencher en arrière, par exemple, il pourra trouver utile de lever son bras pour intercepter le couteau.
Alors que ce bras s’est levé naturellement pour créer un effet d’équilibre, il peut aussi être utilisé pour frapper l’attaquant à l’épaule et le forcer à lâcher son couteau. Des séries de mouvements vont ainsi être pratiquées, découlant toutes de la réaction originale de la recrue et dans la continuité du mouvement naturel de son corps.
Bien sûr, il est aussi essentiel d’apprendre ce qu’est sa réponse naturelle pour s’en protéger dans les situations où elle peut nous mettre en danger. Par exemple, si un homme se trouvant sur un pont est attaqué, et que sa réponse naturelle est de sauter en arrière, il doit être conscient qu’il ne peut pas agir ainsi dans cette situation. S’il le fait, il tombera du pont et plongera dans la rivière. Encore une fois, la conscience de son corps et avec ce qui se passe autour de soi sont essentielles dans la maîtrise du système russe.
Quelle que soit notre réponse naturelle, apprendre à se mouvoir correctement est le premier but, depuis le départ, dans l’art martial russe. On doit être capable de mouvoir séparément chaque partie de son corps. Chaque épaule doit pouvoir être mue séparément par exemple. Il n’est pas nécessaire d’impliquer /19/ le corps entier. Le reste du corps reste ainsi relâché, alors qu’on meut la partie requise.

Le « centre de gravité flottant »

Encore une fois, pour maîtriser ce système, on doit être aussi capable de se mouvoir de telle sorte que nos membres et le reste de ton corps puissent se mouvoir de différentes manières simultanément. C’est une sorte de mouvement du corps en 3D.
Le principe en question ici est appelé le « centre de gravité flottant ». Le corps se balance en haut et en bas, pivote dans les trois dimensions simultanément. En même temps, il se meut comme un pendule. Le point de suspension du pendule est quelque part au-dessus de la tête. De cette manière, le bassin bouge toujours avant les épaules. Le bassin et les épaules pivotent sur leur axe horizontal et dessinent la figure du 8, qu’on étudie en profondeur pendant l’entraînement physique.
Se glisser dans le pendule est comme patiner sans autoriser tes pieds à quitter le sol. Garder les pieds enracinés dans le sol procure un maximum de puissance pour les mouvements des bras et des jambes.
Et en même temps, les bras et les jambes doivent être libres. Les jambes doivent rester légères et mobiles. Les mouvements des bras ne doivent pas reposer sur une posture ou un support venant des jambes. La puissance de frappe vient du bassin.
On ne devrait pas réfléchir à un coup particulier pour se défendre ou à la personne qui est en face de nous sur le moment, non plus. Quand le contact physique commence, le combat devrait être totalement inconscient. Il est impossible de développer à l’avance des techniques pour toutes les situations potentielles dans un combat, mais il est possible d’apprendre au corps à « penser ».
Par « penser », j’entends permettre au corps de trouver spontanément la solution à une situation inattendue. C’est pourquoi, dans le système russe, pendant les sessions d’entraînement, on ne devrait jamais organiser au préalable les attaques avec son partenaire.
Chaque mouvement devrait être dynamique et multifonctionnel. On ne devrait jamais bouger juste pour bouger. À tout moment, le corps entier devrait être perçu et utilisé comme un système complet. Bien qu’une partie du corps puisse se mouvoir alors que le reste demeure détendu, ils ne devraient jamais être isolés physiquement ou séparés psychologiquement des actions des autres parties. /20/
Une chose à se rappeler : il n’y a pas qu’une seule sorte de situation de combat. Elles sont toutes différentes et on doit être prêt pour n’importe laquelle. Un conflit peut avoir lieu la nuit ou le jour, au chaud ou au froid, sur un sol glissant ou dans un sable bourbeux, dans une forêt dense ou un jardin ouvert, dans un ascenseur, une voiture -virtuellement n’importe où.
Un conflit peut avoir lieu avec une seule personne ou avec plusieurs. Il peut être rapproché ou à distance. On peut être fatigué, malade ou blessé. Souvent il nous arrivera de combattre sans échauffement psychologique ou physique. On ne saura jamais dans quelles conditions la confrontation aura lieu.
Par ailleurs, On ne devrait pas considérer l’art martial russe comme un sport. Le but du combat à mains nues est de survivre dans des environnements extrêmes et imprévisibles. Les conflits réels n’ont pas lieu dans un salle de sport.
Il est aussi très important de ne pas tout donner, comme on peut le faire dans un concours sportif. Il faut qu’on réserve des forces pour survivre après sa victoire, se soigner, aider ceux qui en ont besoin, se sortir d’un piège ou accomplir ce qui est nécessaire.
Le système russe reconnaît qu’un combat peut aussi avoir lieu dans n’importe quelle position physique. Les recrues apprennent donc à se défendre dans une « posture de conversation ». Cela peut être n’importe quelle position dans laquelle ils peuvent se trouver à ce moment-là, y compris les positions assises et couchées. Nous étudions aussi comment nous défendre dans des positions communes dans lesquelles les bras et les jambes se trouvent dans une position inconfortable pour commencer un combat.
Les postures fixes et les poses menaçantes qu’on peut trouver dans les autres arts martiaux sont en contradiction avec le principe de la préparation immédiate nécessaire aux /21/ arts russes et à leur mise en valeur de la continuité du mouvement. Ces postures ne sont pas pratiques, c’est pourquoi aucune n’est incluse dans le système.
Comme l’a écrit un jour le maître d’arts martiaux Bruce Lee: « Les applications des techniques elles-mêmes ne servent pas à grand-chose dans le combat de rue. Il est difficile d’appliquer les principes du Kung Fu classique ou du karaté dans la vie. Dans des confrontations avec des opposants qui n’ont aucune connaissance des techniques des arts martiaux classiques, ces opposants ont des réactions et des comportements qui sont complètement imprévisibles. »
Dans un grand nombre de cours d’arts martiaux, on passe trop de temps à apprendre des poses irréalistes et des mouvements classiques qui n’ont plus aucune signification. Bien que cela puisse avoir une beauté particulière et que le rituel puisse être motivant, cela ne prépare pas les étudiants à un combat réel.
Cela ne signifie pas que ce type d’entraînement n’a aucune valeur. Il apporte une sorte d’ordre ou une structure interne et externe et une organisation de l’entraînement. Ces remarques ne devraient pas nous faire négliger l’importance des poses du corps et du langage corporel d’une quelconque façon. Le langage corporel nous dit beaucoup de choses sur un attaquant et ses intentions.
La manière dont on positionne son corps en réponse à une menace possible peut aussi apporter un grand avantage. Il peut être utile parfois d’exprimer de la faiblesse, une menace, de l’indifférence ou un trouble, avec son corps. Il est aussi très important d’être capable de prendre des postures inhabituelles ou inattendues. Mais tout de même, c’est le mouvement naturel, la réaction naturelle d’une personne à des situations imprévisibles, qui définit l’art martial russe. La plupart de ces réactions vient d’instincts de défenses innés.
Le fait qu’il n’y a pas deux combats de rue ou de situations de combat qui sont identiques s’accordent avec la philosophie du « mouvement naturel ». Il serait impossible de préparer et de mémoriser toutes les réponses possibles à une situation particulière. On ferait face à un nombre quasi infini de possibilités.
C’est pourquoi il est plus pratique et efficace de devenir consciemment attentif envers ses mouvements naturels et d’arriver à les comprendre /22/ et les utiliser comme les fondements d’un entraînement approfondi pour « apprendre à son corps à penser. »
Parce que les étudiants dans l’art martial russe ne préparent pas au préalable les frappes ou ne les répètent pas, le type d’attaque qui leur fait face au cours de l’entraînement devient rapidement indifférent. Dans le monde réel, ceci s’avère suprêmement pratique.


Vladimir Vasiliev & Ron Borland, The Russian System Guidebook, 1996, Optimum Training System, extrait du chapitre 4: l'entraînement des forces spéciales soviétiques.

Traduction @Mikolka
Disponible aussi sur le site de Systema Lyon.