Friday 31 October 2008

Dramatic animals!

Je n'ai guère le temps en ce moment de faire des billets. En attendant, je vous livre deux petites trouvailles.

Here are two funny videos I found on the web.

Dramatic Chipmunk:



Dramatic Lemur:



Friday 17 October 2008

L'Innéisme psychologique (I): Chomsky et les capacités cognitives

Le problème posé par Chomsky, dans le premier chapitre de son livre Réflexions sur le langage (1975, traduit en français en 1981) est le suivant : comment est-il possible, qu’en dépit du fait que les hommes aient une expérience limitée et non organisée, ils parviennent à élaborer des systèmes de croyance qui sont a) convergents ; b) pragmatiquement corrects ; c) très complexes ? Pour Chomsky, seule l’hypothèse de l’innéisme permet de formuler la solution à ce problème. L’hypothèse de l’innéisme consiste à soutenir que l’homme parvient à constituer des systèmes de croyances avec les caractéristiques a, b et c parce que 1) elle postule que nos systèmes de croyance sont déterminés par des structures biologiques qui « destinent » les gens vers certains savoirs ; 2) elle affirme que les structures créées sont « adaptées à la nature des choses ».
Je vais examiner l’argumentation et la thèse de Chomsky dans le chapitre de ce livre.

Ce billet est la version française de Psychological Nativism (I): Chomsky and Cognitivism.
La suite de ce billet est: L'innéisme psychologique (II): Chomsky et l'histoire de la linguistique.

1) Empirisme et rationalisme :
Avant de formuler la solution du problème, Chomsky commence par comparer deux traditions philosophiques et scientifiques : l’empirisme et le rationalisme.

a) L’empirisme :

Chomsky, en se référant à l’empirisme, analyse les présupposés du béhaviorisme psychologique. Il souligne 3 caractéristiques propres à l’empirisme :
(E) L’environnement est le facteur déterminant dans l’explication des comportements :
« On a souvent abordé l’étude du développement de la personnalité, des schémas de comportement et des structures cognitives par des voies très différentes. On affirme, en général, que, dans ces domaines, l’environnement social est le facteur dominant. » (p 19)

(C) : Les caractères d’une espèce sont le produit d’une construction historique :
« Les structures de l’esprit qui, dans leur développement, échappent au temps sont considérées comme arbitraires et contingentes ; il n’y aurait pas de « nature humaine » en dehors de ce qui se développe comme produit spécifiquement historique. » (p 19

(G) : Les principes cognitifs sont généraux :
« Selon ce point de vue, typique de la spéculation empiriste, quelques principes généraux d’apprentissage, communs pour l’essentiel à tous les organismes (ou à quelques groupes importants d’entre eux), suffisent à rendre compte des structures cognitives acquises par les êtres humains. Ces structures comprennent les principes qui règlent et contrôlent le comportement humain. » (p 19)


b) Le rationalisme :

Par rationalisme, il faut entendre le mouvement psychologique dérivé de la tradition philosophique : le psychologisme innéiste ou nativiste.

Chomsky résume ainsi la position de l’innéisme :
« Ou pour le dire dans une formulation moins paradoxale, nos systèmes de croyance sont ceux que l’esprit, en tant que structure biologique, est destiné à connaître. Notre interprétation de l’expérience est déterminée par nos caractéristiques mentales. Nous atteignons la connaissance lorsque les « idées intérieures de l’esprit lui-même » et les structures qu’il crée s’adaptent à la nature des choses. » (p 16)

La proposition est un peu vague. On peut la paraphraser de la manière suivante : pour tout individu i d’une espèce E, alors son système de croyances C est fonction d’une faculté d’analyse et de recueil des data (FD) et d’une faculté ancrée biologiquement qui dispose des propriétés formelles conditionnant l’élaboration des croyances (FC) ; de telle sorte que i ne peut pas formuler des croyances autres que celles issues de la perception faite par FD à propos d’un objet O si i ne dispose pas des conditions nécessaires pour connaître O.

Par conséquent, il est très peu probable que des individus obtiennent des systèmes de croyances complexes et convergents s’ils se contentent de recueillir des data.


c) L’empirisme comme un obstacle :

Chomsky ne cache pas son mépris pour l’empirisme :

« L’audience dominante de l’empirisme dans la période moderne, en dehors des sciences naturelles, doit s’expliquer par des raisons sociologiques ou historiques. Cette position ne peut guère se recommander de preuves empiriques, ni de sa vraisemblance intrinsèque, ni de sa puissance explicative. Je ne crois pas qu’elle puisse attirer un chercheur capable de se défaire de la mythologie traditionnelle et d’aborder les problèmes avec un œil neuf. Elle est plutôt un obstacle, un barrage insurmontable à des recherches fructueuses, tout comme les dogmes religieux ont fait obstacle par le passé aux sciences naturelles. » pp 21-22

L’empirisme comme obstacle à la recherche scientifique ! On croirait lire Bachelard. L’accusation portée par Chomsky est très lourde : il soutient que l’empirisme est un dogme, une opinion présentée comme indiscutable, une croyance infondée qui se manifeste avec une allure « autoritaire », plutôt qu’une tradition avec des arguments rationnels.

Le problème qui se pose maintenant est de savoir 1) comment il parvient à démontrer la supériorité du rationalisme ; 2) comment il pense pouvoir répondre à la question posée en introduction (les caractéristiques a, b et c des systèmes de croyance) ; 3) comment les réponses aux problèmes 1 et 2 s’articulent 4) pourquoi la linguistique peut apporter une pièce déterminante dans ce débat.


2) Démonstrations de la validité de l’hypothèse de l’innéisme.

Chomsky ne commence pas par démontrer directement que l’hypothèse de l’innéisme est la meilleure pour rendre compte des problèmes cognitifs. Il utilise trois preuves indirectes (le ridicule, le modus tollendo ponens, la pauvreté du stimulus) avant de finir par la preuve directe.

a) L’argument du ridicule :

Chomsky est très polémique, voire un peu agressif, envers la tradition empiriste. Outre le passage cité en 1-a, on peut relever d’autres passages où il s’en prend à l’empirisme, plus avec des buts rhétoriques (susciter une adhésion et des émotions) qu’avec des arguments :

« Bien que nombre d’idées directrices de la tradition rationaliste soient plausibles et que celle-ci présente sur des sujets cruciaux des affinités avec le point de vue des sciences naturelles, elle a souvent été rejetée ou méconnue dans les recherches sur le comportement et les processus cognitifs. C’est un fait curieux dans l’histoire intellectuelle de ces derniers siècles que le développement physique et le développement mental aient été abordés par des voies tout à fait différentes. Personne ne prendrait au sérieux une proposition qui dirait que l’organisme humain apprend à travers l’expérience à avoir des bras plutôt que des ailes, ou que la structure de base d’organes particuliers est le résultat d’expériences fortuites. On considère plutôt comme allant de soi que la structure physique de l’organisme est déterminée génétiquement, même si, bien évidemment, la variation de coefficients comme la taille, la vitesse de développement, etc., dépend partiellement de facteurs externes. » p 18

L’argument du ridicule s’en prend à deux caractéristiques de l’empirisme (E) ou la thèse selon laquelle l’environnement est le facteur déterminant, et (C) ou la thèse selon laquelle les phénomènes cognitifs sont construits.

La comparaison entre les sciences naturelles et les sciences cognitives est très frappante. Mais elle repose sur un présupposé : toutes les sciences naturelles sont rationalistes et ne doivent rien à la tradition empirique. On est un peu surpris d’apprendre que la physique doit plus à l’approche rationaliste de Descartes qu’à l’empirisme de Newton. L’argument de Chomsky est donc très peu convaincant.


b) Le modus tollendo ponens :

L’argument suivant a un peu plus de rigueur formelle : ou a ou b, non b, donc a (modus tollendo ponens). Cet argument n’est pas explicitement formulé, mais on peut le reconstituer à partir du rejet constant de la tradition empiriste fait par Chomsky : soit l’alternative « empirisme ou rationalisme » qui a été exposée en premier partie, étant donné que l’empirisme est faux, alors nous devons admettre la vérité du rationalisme.

Cet argument n’est pas très convaincant : il est possible que les deux théories soient fausses ensemble.


c) L’argument de la pauvreté du stimulus et la théorie de l’apprentissage:

Cet argument a plusieurs formes chez Chomsky. J’en relève deux :

1) Version courte :
« Une langue humaine est un système remarquablement complexe. Pour un être qui n’y serait pas spécifiquement destiné, ce serait un exploit intellectuel remarquable que d’arriver à connaître une langue humaine. Or un enfant normal acquiert cette connaissance au terme d’une mise en contact relativement brève et sans apprentissage particulier » p 12
2) Version longue :
« Ainsi, il est clair que la langue acquise par chaque individu est une construction riche et complexe qui, malheureusement, est loin d’être déterminée par les faits fragmentaires dont nous disposons. C’est pourquoi les recherches scientifiques sur la nature du langage sont si difficiles et obtiennent des résultats si limités. La pensée consciente ne possède aucune connaissance préalable (ou, pour rappeler Aristote, elle ne possède qu’une connaissance préalable insuffisamment développée). Elle est ainsi mise en échec par le caractère limité des faits dont elle dispose et confrontée à un bien trop grand nombre de théories explicatives possibles, qui sont contradictoires entre elles tout en étant adéquates aux données. (…) Et pourtant, les individus d’une communauté linguistique parlent, pour l’essentiel, une même langue. Ce fait ne peut s’expliquer que par l’hypothèse selon laquelle ces individus utilisent des principes très restrictifs qui fondent la construction de la grammaire. De plus, il est bien clair que l’homme n’est pas fait pour apprendre une langue plutôt qu’une autre ; le système des principes est donc nécessairement une propriété de l’espèce. Et des contraintes fortes doivent nécessairement opérer pour restreindre la diversité des langues. Il est naturel que dans la vie quotidienne on ne soit attentif qu’aux différences entre les gens et que l’on néglige les régularités structurelles. Mais lorsqu’on cherche à comprendre quelle sorte d’organisme est réellement l’être humain, d’autres exigences s’imposent. » pp 20-21

Je reconstruis l’argument de la manière suivante :

Prémisses :
(A) Il y a des universaux linguistiques.
(B) Les enfants/individus n’ont qu’une expérience limitée des applications de ces universaux, insuffisantes pour qu’ils les rencontrent tous et qu’ils en connaissent toujours l’application correcte.
(C) Les enfants/individus appliquent les mêmes universaux correctement.

Conclusion :
(D) Donc l’expérience ne suffit pas pour expliquer l’apprentissage de la langue, il faut faire l’hypothèse d’une capacité innée des individus à connaître les universaux linguistiques.

Cet argument permet d’apporter des éléments de réponse aux problèmes 2, 3 et 4 formulés à la fin de la partie 1.
* (2) les caractéristiques a, b et c : les prémisses conduisent nécessairement à la formation de système de croyances convergent (a), corrects (b) et complexes (c).
* (3) la supériorité du rationalisme : en vertu des prémisses (A) et (B), l’empirisme est insuffisant. En utilisant le modus tollendo ponens, on aboutit à la supériorité du rationalisme.
* (4) le rôle de la linguistique : pour Chomsky, l’apprentissage de la langue est un cas exemplaire de la supériorité d’une position rationaliste. Il propose d’étendre l’approche rationaliste dans la linguistique à la totalité des sciences cognitives.

Peut-on admettre l’argument de la pauvreté du stimulus ? Formellement, il est indiscutablement correct. La seule manière de le discuter consiste à analyser les prémisses. Ce qui me paraît le plus discutable, c’est l’affirmation selon laquelle les enfants et les individus n’ont qu’un accès partiel à l’ensemble des universaux. Qu’est-ce que Chomsky entend par « expérience limitée », « non organisée » ? Veut-il dire qu’on ne trouve pas dans l’ensemble du corpus disponible (écrit ou oral) certaines applications des universaux ? Veut-il dire que des expériences de certains universaux linguistiques sont impossibles et ne peuvent donc que se trouver de manière innée dans les structures biologiques des individus ? Il n’y a aucune démonstration convaincante de l’impossibilité de l’expérience de certains universaux ou de certaines applications des universaux chez Chomsky. Et je ne vois pas vraiment comment on pourrait chercher à tester l’impossibilité de l’expérience des universaux linguistiques chez des individus.


3) De la formation des croyances à la constitution d’une théorie de l’apprentissage :

La preuve directe de la validité de l’hypothèse de l’innéisme se trouve dans une expérience de pensée qui met un chercheur imaginaire en quête d’une théorie de l’apprentissage. En feignant de chercher seulement les caractéristiques de cette théorie, il essaie de convaincre son lecteur du fait que l’hypothèse de l’innéisme est le seul moyen de répondre aux critères posés par une théorie de l’apprentissage et implicitement de répondre au problème que nous avons exposé initialement.

a) Expérience de pensée 1 : le chercheur et sa quête.

À partir de la page 23, il expose le cadre de l’expérience de pensée :
-Soit un chercheur qui cherche une théorie d’apprentissage TA.
-Il se donne un organisme O et un domaine cognitif D.
-Il essaie de trouver une théorie d’apprentissage de l’organisme dans le domaine cognitif : TA(O,D).
-Par exemple, s’il recherche une théorie de l’apprentissage du langage pour les hommes, il essaiera de trouver TA(H,L).


b) Expérience de pensée 2 : modification dans les variables.

Chomsky procède en faisant varier le point de vue sur TA(O,D).

-Y a-t-il une TA(O,D) qui soit valide, quel que soit O et quel que soit D ? « Prenons les êtres humains H comme O et les rats R comme O’ ; le langage L comme D et le parcours de labyrinthe P comme D’. S’il y avait une réponse même très approximative de la question 1, on s’attendrait à ce que les êtres humains fassent preuve, dans le parcours de labyrinthes, tout autant que dans le langage, d’une capacité d’apprentissage supérieure à celle des rats. (…) En réalité, il semble que les « rats blancs sont même capables de battre des étudiants dans ce type d’apprentissage » -l’apprentissage des labyrinthes. » pp 28-29.

Il semblerait donc que 1) dans un même organisme, l’apprentissage varie en fonction de D ; 2) dans différents organismes, le même D repose sur des capacités différentes.

-Y a-t-il une TA(O,D) qui soit valide pour un seul O, mais pour tous les D ? Pour le dire autrement, Chomsky se demande si tous les apprentissages, chez tous les individus de O, sont l’application de principes généraux. La réponse de Chomsky est assez décevante : c’est une idée dogmatique et on n’a pas de raison de s’attendre à l’existence de ces capacités générales.

-Y a-t-il une TA(O,D) qui soit valide, si on conserve le même O et si on rassemble D’, D’’, D’’’… id est tous les D qui présentent des caractères communs ?

« Il est raisonnable de supposer qu’il existe pour D, dans les limites de la capacité cognitive de O, un ensemble de schèmes qui définit la classe des structures cognitives susceptibles d’être acquises. » (p 32). Chomsky propose de retenir cette solution. Le chercheur suppose donc qu’il y a, pour un O donné, divers D qui permettent de construire des systèmes complexes, convergents et corrects, qui peuvent être connus grâce à une TA(O,D).


c) Expérience de pensée 3 : l’apprentissage linguistique:

-Le chercheur se demande ce qu’est TA, si O est les êtres humains (H) et si D est le langage (L). TA(H,L) ?
-Soit un enfant qui apprend en anglais à former des interrogations à partir de A :
A : The man is tall –is the man tall ?
-Le chercheur peut interpréter ce fait de la manière suivante : « L’enfant traite la phrase déclarative en commençant par le premier mot (i.e. de gauche à droite) et en allant jusqu’à ce qu’il rencontre la première occurrence du mot « is » (…) ; il antépose alors cette occurrence de « is » pour produire la question correspondante (…) » p 42. Cette hypothèse ne fait intervenir qu’une analyse de mots et la propriété « premier » appliquée à une séquence de mots.
-Mais cette hypothèse est fausse :
B : The man who is tall is in the room –is the man who tall is in the room ?
Et, selon Chomsky, les enfants formulent sans erreur :
C : The man who is tall is in the room –is the man who is tall in the room ?

Ce qui contraint le chercheur à former une autre hypothèse : « L’enfant analyse la phrase déclarative en syntagmes abstraits ; ensuite il repère la première occurrence de « is » (etc.) qui suit le premier syntagme nominal ; puis il antépose cette occurrence de « is » pour former la question correspondante. » (p 43). À la différence de la première hypothèse qui emploie une « règle indépendante de la structure », la seconde hypothèse fait intervenir une « règle dépendante de la structure », car l’enfant analyse des mots et des syntagmes ou des éléments structurels (syntagme nominal, syntagme verbal…).

-La règle dépendante de la structure ne peut pas être tirée de l’expérience selon Chomsky. Elle est innée. TA(H,L) est la théorie qui permet de rendre compte de toutes les structures cognitives qui ne sont pas tirées de l’expérience, qui déterminent ce qu’il est possible ou non de faire linguistiquement (Grammaire universelle qui définit les principes et les propriétés des langues) et des mécanismes d’application de ces principes.


d) Les problèmes :

-Quelles conclusions en tirer ? La formulation de TA(H,L) permet de former 1) une description de ce que peut être une résolution du problème des théories de l’apprentissage et d’orienter la recherche dans ce sens (valeur programmatique et descriptive) ; 2) une thèse qui remplacerait le dogme empiriste.

-Premier problème. Il peut être résumé par la formule tirée du Cid : « À combattre sans péril, on vainc sans gloire. » Je veux dire que la construction de l’empirisme par Chomsky est si faible, si caricaturale, qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’il triomphe un peu trop facilement. Son traitement des expériences linguistiques des individus dans un environnement n’est pas rigoureux. Il s’appuie plus sur une intuition personnelle que sur de véritables travaux. On ne peut pas s’empêcher de penser que sa thèse néglige le rôle de l’environnement dans l’apprentissage et dans l’utilisation des mécanismes linguistiques. Il est possible que le béhaviorisme psychologique ait une interprétation insatisfaisante de ce rôle, mais on ne peut pas impliquer le fait que l’environnement est non déterminant dans l’apprentissage et l’utilisation des principes linguistiques du fait que le béhaviorisme ne parvient pas à interpréter de manière appropriée le rôle de l’environnement dans les comportements linguistiques.

-Second problème. Que veut dire "innée" ?


Conclusion :

L’hypothèse de l’innéisme est très intéressante, car elle met sur la piste de la réponse à un véritable problème : celui de l’existence de systèmes de croyances convergents, complexes et corrects pragmatiquement. Mais ce « hard nativism » est insatisfaisant.

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Monday 13 October 2008

"So what was all the fuss about", débat autour de la Merton Thesis (1938-2008)

En 1938, Robert K. Merton, fraîchement diplômé de l’Université de Harvard, publie une monographie intitulée Science, Technology and Society, in Seventeenth-Century England (abrégé ensuite en STS, conformément à l’usage), dans la collection Osiris, dirigée par G. Sarton, spécialisée en histoire des sciences.

STS est une version améliorée de sa thèse. L’entreprise de Merton peut être résumée de la manière suivante :

1. la mise en évidence d’un changement dans la valeur accordée à la science (la Philosophie naturelle) et aux activités techniques par la société anglaise de la fin 17ème siècle (chapitres 1-3) ;
2. l’identification de l’éthos du Puritanisme comme cause du changement dans le système de valeurs culturelles (chapitres 4-6) ;
3. les conséquences de ce changement axiologique sur les découvertes technologiques et scientifiques dans la société anglaise du 17ème siècle (chapitres 7-9) ;
4. d’autres remarques sur les rapports entre la société et la science (chapitres 10-11).

En 2008, le livre de Merton fait encore l’objet de nombreuses analyses dans les revues de sociologie américaines, à travers le débat autour de la Merton Thesis. Rares sont les travaux scientifiques qui sont l’objet d’un débat aussi long. C’est pourquoi la question de savoir pour quelles raisons le livre de Merton est encore débattu mérite d’être posée. (J'insiste sur le fait que mon but n'est pas d'exposer la théorie mertonienne, mais de rendre compte du débat.)



1) Quelques mots sur la genèse et le contenu du livre:

1-1) Le contexte:

Lorsque Merton fait ses études et rédige sa thèse, il a face à lui trois grandes théories pour rendre compte des événements passés des sciences : 1) la théorie des grands hommes ; 2) la théorie marxiste de la science ; 3) la théorie progressiste de la science. J’explicite ce contexte méthodologique pour vous permettre de mieux rentrer dans le débat.

1-1-1) La théorie des grands hommes :

La théorie des grands hommes est une explication des événements de l’histoire par l’hypothèse de la puissance du génie. Tous les grands changements (paradigmatiques ou non) sont provoqués par des individus isolés qui construisent des théories indépendamment de l’environnement où il se trouve. Les autres individus sont des épigones.

Merton n’a pas trouvé cette théorie satisfaisante. Après avoir dépouillé, des relevés d’inventions, il s’est rendu compte que le nombre de doublon, de triplets, de quadruplets… est extrêmement élevé. Autrement dit, pour le dire trivialement, une théorie n’a pas besoin d’un homme (d'un génie) pour être découverte. C’est qui a conduit Merton à aborder la question des événements passés des sciences du point de vue de la collectivité.

1-1-2) La théorie marxiste de la science :

Aujourd’hui, alors que certains aspects du marxisme paraissent désuets, la théorie marxiste paraît difficilement soutenable. Elle consisterait à expliquer le contenu des théories par les conditions sociales. Nombreux sont ceux qui, en 1938, lors de la publication du livre de Merton, soutiennent cette position. I B Cohen souligne d’ailleurs que les marxistes furent les premiers à associer la société et la science dans une perspective sociologique. Le grand exemple pour Merton, c’est Boris Hessen (cf bibliographie), qui montra que la théorie newtonienne découlait des conditions sociales de l’Angleterre au 17ème siècle. Mais il est nécessaire d’ajouter qu’il avait exprimé des doutes sur cette méthode et qu’il a écrit son article pour se racheter. Son jeu fut vite découvert. Je vous laisse imaginer la sordide suite.

Merton n’a pas été convaincu par cette théorie, car certains aspects théoriques sont irréductibles aux phénomènes sociaux. Mais Merton, au lieu de laisser totalement de côté la question du rapport entre la société et la science, la reprend sans essayer d’établir un rapport causal asymétrique.

1-1-3) La théorie progressiste de la science :

Principalement soutenue par des scientifiques, la théorie progressiste de la science consiste (1) à dire que la science progresse d’erreur en erreur en se rapprochant de la vérité peu à peu ; (2) à essayer de démontrer l’intérêt d’une application des sciences dans la société et de la technologisation de la société.

Merton la rejette, parce que ce n’est pas une véritable enquête (descriptive) sur les rapports entre la société et les sciences, mais une véritable entreprise normative : ce que doit et peut être la société pénétrée de sciences. La pauvreté descriptive de leur travail le confirme dans son projet.

1-1-4) Un cas particulier : Alphonse de Candolle

Merton lit assez rapidement un sociologue oublié, le Suisse Alphonse de Candolle, qui dans Histoire des sciences et des savants depuis deux siècles (Genève, 1885), fait une étude sur les rapports entre la religion et la science. Sa méthode est tout à fait particulière : au lieu de prendre d’un côté le contenu théorique des doctrines religieuses et de l’autre les théories scientifiques, de les comparer, puis de tirer des conclusions du type « le calvinisme n’a pas pu causer la science expérimentale », de Candolle prend les listes des sociétés savantes, étudie les membres des sociétés dans le pays et les membres associés (les correspondants) dans des pays étrangers, essaie de déterminer leur religion, puis compare les données sociologiques sur les religions dans les pays concernés, et enfin compare les résultats.

Quels sont les résultats ? Voici :
« On the list of Foreign Associates of the Academy of Paris, you do not find a single English or Irish Catholic, although the proportion of Catholics in the population of the three kingdoms is more thant a fifth. Austria is not represented, and in general, Catholic Germany is almost completely absent in comparison with Protestant Germany. » (chapitre « Influence de la religion »).

Merton cite Alphonse de Candolle dans STS. C’est lui (avec quelques autres, notamment D. Stimson) qui le met sur la voie : 1) grâce à lui, il trouve un moyen pour éviter les explications causales ; 2) grâce à lui, il a un objet d’étude précis vers lequel il peut orienter ses recherches sociales : le protestantisme.

1-1-5) La sociologie de Pareto :

Un mot sur Pareto. À Harvard, dans les années 1920’s et 1930’s, Pareto est l’auteur préféré des chercheurs en sociologie qui ne veulent pas du modèle d’explication marxiste. Talcott Parsons lui-même a beaucoup travaillé Pareto avec Merton. Un séminaire fut organisé sur Pareto à la fin des années 1920 à Harvard.

De Candolle lui montre qu’on peut éviter les explications causales. Mais que faire ? Merton trouve la solution chez Pareto : (1) l’explication causale se fait en termes de « mutual interdependence » et non plus en termes de cause/effet ; (2) ce qui est l’objet des modifications dans ces relations, ce sont les sentiments (ethos chez Merton). Je n’insiste pas sur la première partie. Il est très clair que Merton n’étudie pas le corps de doctrine du Puritanisme et du Protestantisme (issu de Calvin ou de Luther), mais bel et bien des valeurs (sentiments) plus diffuses dans la société, qui se sont manifestées avec le plus de distinction dans le Puritanisme, mais qui ne sont pas réductibles au Puritanisme.

1-2) Le contenu de STS :

1-2-1) Le point de départ de Merton :

Merton consulte plusieurs dictionnaires et œuvres pour lui fournir des data. Le plus important est le DNB : Dictionary of National Biography. Il comprend 29 120 notices consacrées à des individus qui ont atteint une certaine réussite dans l’histoire britannique. Merton compulse l’ensemble consacré au 17ème siècle et trouve quelques résultats intéressants :

-Dans les arts littéraires : le 17ème siècle est l’âge où on assiste à un déclin progressif de la poésie face à la prose, jusqu’au 3/4 de ce siècle, où soudainement la poésie est condamnée, du moins franchement dévalorisée par rapport à la prose.

-Dans les sciences : les médecins et les chirurgiens deviennent des gens reconnus (on leur fait des honneurs). Je ne retrace pas l’ensemble, mais voici la remarque importante de Merton :

« Science became fashionable, which is to say : it became highly approved. Charles II himself with his interest in chemistry and navigation, set the example. Prince Rupert commended the pursuit of natural philosophy and also participated in such activity. Sir Matthew Hale and Lord Keeper Guilford attended to problems in hydrostatics. It began to be considered almost abnormal for a « gentleman of culture » to overlook the « charms » of science. (…) Science had definitively been elevated to a place of high regard in the social system of values ; and it was this positive estimation of the value of science (…) which led ever more individuals to scientific pursuits. » (pp 27-28, dans l’édition de 2001).

Merton a donc tiré 2 conclusions après avoir étudié de près le DNB : 1) il y a un changement de valeur dans la société britannique qui se caractérise par une évaluation favorable de la science ; 2) ce changement de valeur a été la condition (nécessaire ou suffisante ?) pour que des individus acceptent de considérer la vocation scientifique comme acceptable (ce qui explique l’augmentation considérable du nombre d’inventions et de découvertes à la fin du 17ème s).

Voilà l’objet de Merton : le changement dans le système de valeurs et la vocation scientifique.

Mais entendons-nous bien : il ne cherche pas ce qui a pas rendu possible la philosophie naturelle, mais ce qui a rendu possible l’institutionnalisation de la philosophie naturelle. L’objet de Merton, c’est cela : comment un phénomène est-il devenu institutionnel ? Comment l’institutionnalisation de la science moderne s’est-elle produite ? (C’est pourquoi les comparaisons avec Weber doivent être prises avec prudence, car Merton est très influencé par Durkheim).

C’est d’ailleurs pourquoi les historiens n’ont rien compris à Merton. Ils cherchaient dans STS des thèses sur la révolution scientifique (car c’est bien de cela qu’il s’agit). Ils n’ont pas compris que plus Merton fouillait dans les archives, plus il s’intéressait aux valeurs, aux sentiments, plus il s’écartait de l’histoire et faisait de la sociologie des institutions.



2) L'hypothèse de la mécompréhension:

2-1) Merton Thesis et STS Thesis:

La Merton Thesis, ou la thèse qu’on a cru trouver dans la monographie écrite par Merton, décrit les rapports entre la science expérimentale et le Puritanisme dans la société anglaise du 17ème siècle: les propriétés du Puritanisme peuvent être considérées comme les causes de la naissance de la science expérimentale, des caractéristiques de la science expérimentale, de l'intérêt que les individus ont eu pour ce type d'activité (la "vocation de savant"). Le Puritanisme, en promulguant l'utilitarisme et l'empirisme, aurait entraîné la chute du monde hérité de la Renaissance.

Outre le fait que la Merton Thesis ne concerne qu’une partie du livre (cf Merton, préface de l'édition de 1970, p. xxxiii dans l'édition de 2001), Robert K. Merton a explicitement soutenu que sa monographie ne vise pas à établir un rapport de causalité univoque de telle sorte que A (le Puritanisme) soit la cause de B (la science expérimentale) :

« It would have been fatuous for the author to maintain, as some swift-reading commentators upon the book would have him maintain, that, without Puritanism, there could have been no concentrated development of modern science in seventeenth-century England. Such a imputation betrays a basic failure to understand the logic of analysis and interpretation in historical sociology. (…) In the case in hand, it is certainly not the case that Puritanism was indispensable in the sense that if it had not found historical expression at that time, modern science would not then have emerged. (…) As it happened, Puritanism provided major (not exclusive) support in that historical time and place. But that does not make it indispensable. » (Préface de la réédition de STS de 1970, p xl dans l'édition de 2001).

Quelles conclusions en tirer? Puisque le but de Merton n'a pas été d'expliquer la science expérimentale par le Puritanisme, au sens où il ne soutient pas que sans le Puritanisme il n'y aurait pas eu de science expérimentale, la thèse de STS (STS Thesis) ne correspond pas à la Merton Thesis.

Quelles sont les différences entre la Merton Thesis et la STS Thesis ?

1. Le rapport entre les éléments étudiés : dans la Merton Thesis, le rapport entre la religion et la science est asymétrique (si nonA, alors nonB, et si A, alors B) ; tandis que dans la STS Thesis, c’est un rapport d’interdépendance qui relie les deux éléments (A et B) (cf préface de 1970, p xxxiii dans l’édition de 2001).
2. Le domaine d’explication : dans la Merton Thesis, le contenu de la science expérimentale est expliqué par le Puritanisme ; tandis que la STS Thesis ne prétend pas expliquer le contenu de la science, mais un changement dans le système des valeurs.
3. L’interprétation du Puritanisme : dans la Merton Thesis, le Puritanisme est un groupe social religieux défini (T. K. Rabb, 1962) ; tandis que dans la STS Thesis, le Puritanisme désigne un ensemble de valeurs diffuses dans la société anglaise du 17ème (G. A. Abraham, 1983, p 238 chez Cohen ; Merton, 2001 : IV, p 56).


2-2) Confusion entre Merton Thesis et STS Thesis:

Il y a une telle différence entre la Merton Thesis et la STS Thesis que nous sommes obligés de les distinguer. Paradoxalement, il semblerait que le débat sur le livre de Merton soit, en grande partie, très éloigné des propos tenus par Merton. Les termes de ce débat ont été hérités d'un débat plus ancien: la Weber Thesis (T. K. Rabb, 1962, p 210 chez Cohen). Cette thèse avait pour but de décrire le rôle de l'esprit du protestantisme dans le développement du capitalisme moderne.

Certains sociologues et historiens ont tenté de démontrer que cette confusion avait largement participé à la durée et à l’âpreté du débat. On peut dire que cette explication a même rencontré un large succès, car elle a été soutenue par beaucoup de commentateurs et pendant assez longtemps. Ils soutiennent que c’est précisément parce que la STS Thesis a été confondue avec le Merton Thesis que le livre a été l’objet des foudres des historiens et des sociologues pendant aussi longtemps (Stephen Shapin, 1988 ; Trevor Pinch, 1992 ; Joseph Ben-David, 1985).

Pour G. A. Abraham, Merton lui-même aurait joué un rôle dans cette confusion à cause de certains flottements dans son argumentation (G. A. Abraham, 1983). Ayant identifié deux arguments distincts dans l’œuvre de Merton, l’un visant à démontrer l’importance du Puritanisme dans l’institutionnalisation de la science et l’autre tentant de montrer que la science a été perçue comme une vocation digne de poursuite grâce aux Puritains, Abraham soutient que Merton ne maintient pas une stricte limite entre les deux :

« Nevertheless Merton’s own formulation are not free from ambiguity : he does not keep the two lines of his argument separate… It is not clear from such a statement whether Merton intends to refer to mass perceptions of science or to the personal attitude required (by his thesis) of scientists themselves. » (p 236, Cohen).

Si le Puritanisme est la raison de la poursuite scientifique, alors il est fort à parier que les principes puritains ont des conséquences sur le contenu de la science. Par conséquent, en ne séparant pas nettement les deux arguments, Merton encourt le risque de voir ses précautions réduites à néant.


2-3) Discussion de l'hypothèse:

Peut-on tenir cette explication pour satisfaisante ? Deux raisons s’y opposent. La première raison est que la confusion entre la Merton Thesis et la STS Thesis ne vient que caractériser la manière dont le débat s’est déroulé et ne saurait constituer une raison pour les historiens et les sociologues de revenir au livre de Merton. On ne peut pas inférer que tous les historiens et les sociologues de la science aient eu envie de revenir sur STS du fait que certaines personnes se sont trompées dans l’interprétation des thèses du livre.

La seconde raison est que cette explication n’est qu’une manière de repousser le problème. Faisons l’hypothèse que si la STS Thesis avait été bien comprise, alors elle n’aurait pas suscité un tel débat. Du fait que la STS Thesis est bien distincte de la Merton Thesis, alors la question de savoir pourquoi la ''Merton Thesis" a entraîné un débat reste entièrement ouverte. C’est pourquoi je propose d'abandonner cette hypothèse et de revenir à la réception du livre.


3) L'enjeu de la méthode (le débat internalisme/externalisme):

3-1) Les objections des historiens:

Étant donné que le livre a été publié dans une collection d’histoire des sciences, les historiens furent les premiers à réagir à la monographie de Merton. Comme le remarque I. B. Cohen (Cohen, 1990), les historiens furent troublés par la teneur sociologique de l’investigation de Merton : il ne s’agissait pas d’expliquer le contenu de la science expérimentale par le développement du Puritanisme, mais de montrer l’interdépendance de l’institutionnalisation de la science et de la diffusion de l’éthos puritain dans la société anglaise du 17ème siècle.

Ce moment passé, les historiens ont soulevé des problèmes méthodologiques importants sur le statut de la causalité dans les sciences humaines. L’historien A. R. Hall a sans aucun doute le mieux exprimé ces problèmes (Hall, 1963) :

« Iteration and exemplification cannot, in any case, make the proposition « many scientists are Protestants » equivalent to the statement « men are scientists because they are Protestants ». If induction by enumeration fails, as it must in this instance, what permits the inderence that the association of science and Protestantism is more than a temporal correlation ? (…) The weakness was there from the first in (for example) the reluctance of Merton to declare precisely what the relation between religion and science was. If Puritanism was not the « ultimate cause » of (say) the Principia, was it a cause ? » (p 228, 230).

Dans le débat qui oppose l’externalisme et l’internalisme, Merton ne prend pas position en faveur d’un externalisme « fort », au sens où il ne soutient pas que le Puritanisme en tant que fait social puisse expliquer le contenu des propositions scientifiques, comme l’on fait certains sociologues de tendance marxiste (Hessen, 1931). Hall pose la question de la dimension explicative de cette méthode : si Merton n’est pas internaliste et si son externalisme consiste à rapprocher des phénomènes sans expliciter leur relation, peut-on dire qu’il explique quelque chose ? L’impuissance explicative de la méthode mertonienne va conduire les historiens à privilégier la méthode internaliste telle qu’elle est pratiquée par Koyrée dans les Études galiléennes (Rabb, 1962, p. 223 dans l’édition de Cohen) et se détacher totalement de l’externalisme (Hall, 1963, p 230 dans l’édition de Cohen ; Rabb, 1962, p 223 dans l’édition de Cohen).


3-2) La récupération du débat par la sociologie post-mertonienne (le constructivisme sociologique):

Au sein même de la sociologie mertonienne, l’objection de R.A. Hall paraît pertinente (Ben-David, 1985, page 256, dans l’édition de Cohen). La validité de cette objection est apparue à de nombreux chercheurs en sociologie. La STS Thesis est apparue non pas comme un externalisme causal (au sens où elle établirait une relation de causalité entre deux phénomènes), mais comme un externalisme épistémique, au sens où elle tâcherait de rendre compte des croyances des individus sur un objet (la science expérimentale), sans jamais compte de la « construction sociale » de cet objet (Gieryn, 1988, p 587-588 ; Sivin, 1991, p 530 ; Gieryn, 2004, p93).

« What is significant is the extent to which the problems historians had with Merton’s approach and the problems on account of which the new social studies of science moved away from Mertonianism are identical. The point is that social influences upon science, and indeed the social makeup of science, cannot be adequately understood if the « cognitive » beliefs, the methodical procedures, the ontological assumptions, and more generally the technical structure of this institution are not known, and not addressed in the analysis. Merton’s definition of science remained an outsider’s definition. Since then, the sociology of science has emulated the history and philosophy of science by becoming a field that includes the substance of science. » (Knorr-Cetina, 1991, p 524).

Le reproche de Knorr-Cetina à la STS Thesis est qu'elle ne ressemble pas assez à la Merton Thesis. Le constructivisme a concentré ses attaques contre la sociologie externaliste promue par Merton, mais aussi par Talcott Parsons, pour mettre en avant ses propres méthodes. En quelque sorte, ce mouvement s’est servi de la STS Thesis comme d’un tremplin, prolongeant le débat avec un nouvel enjeu.


3-3) La dérive "politique" du débat:

Un autre aspect est peut-être venu nourrir la critique de la STS Thesis: R. K. Merton, premier sociologue à recevoir les honneurs de la prestigieuse National Academy of Science, fondateur de la Society for Social Studies of Science (4S), était une incarnation de la sociologie « institutionnalisée ». En tant que mouvement émergent, le constructivisme sociologique devait trouver le moyen de lutter contre la puissance institutionnelle de la sociologie mertonienne.

S’attaquer à la monographie de Merton, à la STS Thesis était non seulement poursuivre un débat aux enjeux scientifiques, mais aussi aux enjeux « politiques », car les constructivistes, en tentant de montrer la faiblesse théorique des travaux de Merton remettaient en question la légitimité des institutions « mertoniennes ».

Alors que la discussion sur la STS Thesis aurait pu cesser dans les années 1960, d’une part parce que Merton avait changé de piste de recherches, et, d’autre part, parce que les historiens des sciences s’écartaient de l’externalisme, le débat a été repris en main, dans le camp des sociologues, par les constructivistes. Mais ce fut à la fois pour des raisons méthodologiques et à la fois pour des raisons « politiques » qu’ils ont poursuivi le débat sur la STS Thesis.


4) Retour sur la STS Thesis:

Le débat autour du livre de Merton fut donc très complexe : dans un premier temps, la STS Thesis est confondue avec ce qu’on a nommé la Merton Thesis ; dans un second temps, alors que la STS Thesis commence à être bien comprise, la discussion scientifique du livre est parasitée par un débat aux enjeux « politiques ».

4-1) La ''STS Thesis" et la sociologie américaine :

Toutefois, ces confusions ont eu le mérite de concentrer l’attention sur la STS Thesis et sur les problèmes propres à la sociologie des sciences. La véritable question du livre, à savoir le problème de l’institutionnalisation de la science expérimentale ("why did it become fashionable?") et du changement d’un système de valeurs en faveur de la science et de la technologie, fut mieux comprise pendant la discussion critique.

Cette meilleure compréhension eut des conséquences importantes, notamment parce qu’elle permit de prendre conscience que Merton avait trouvé un problème auquel il n’a pas donné de solution satisfaisante. La première conséquence fut d’entraîner des modifications dans l’approche afin d’obtenir une explication plus convaincante. Je reviens sur ce point dans la section suivante. La seconde conséquence fut d’ouvrir le champ de la sociologie de la connaissance aux USA. Les promertoniens s’accordent sur ce point :

« When Merton Produced his doctoral dissertation in 1935 the sociology of science was not a recognized field. Universities did not offer courses in this subject and it was not considered a recognized speciality. (…) There were other books produced in the 1930’s and early 1940’s expressing themes of science and society, including Julian Huxley’s Science and Social Needs (1935), Hyman Levy’s The Universe of Science (1933), Lancelot Hogben’s Mathematics for the Million (1936) and Science for the Citizen (1938), as well as as J. G. Crowther’s many volumes, culminating in his The Social Relations of Science (1941). It is notable, however, that these works were all produced by socially minded scientists and were not informed by considerations of professional sociologists, but exhibited instead a liberal or vague Marxism. In fact, many such writings –almost exclusively by British men of science- tended to be more concerned with the potentialities of science as a major molding force of a better society than with an analysis of the possible effects or influences of society on the course of science and its stages of development. » (Cohen, 1990, pp 4-5).

Mais aussi les antimertoniens ou les constructivistes :

« When he published his classic Science, Technology and Society in Seventeenth-Century England, in 1938, the sociology of science was not a recognized field. Fifty years later, an abundance of programs of intruction and centers of research in social studies of science and technology can be found in the United States and Europe, and the status of sociology of science as an academic subdiscipline is beyond question. » (Knorr-Cetina, 1991, p 522)

Si le livre de Merton est aussi important, s’il a engendré un débat aussi long, c’est aussi parce qu’il est à l’origine d’une discipline, de son thème et de son institutionnalisation. La sociologie américaine des sciences a une dette envers Merton et ses travaux sur la science. Chaque fois qu’elle fait retour sur elle-même, elle se trouve face aux travaux de Merton.

4-2) La faiblesse explicative de la thèse et les mertoniens :

En dépit de ce statut, on peut difficilement parler d’une école « mertonienne » de sociologie. Ceux qui ont essayé de suivre littéralement la voie tracée par Merton, se sont souvent fourvoyés dans la Merton Thesis (exemple : Hooykaas, 1956).

Les Mertoniens sont en définitive ceux qui ont repris le problème sans admettre l’explication avancée par Merton. C’est le cas de Stephen Cole (Cole, 2004) et de George Becker (Becker, 1992). Le premier, après une analyse du livre et une exposition de ses défauts, propose une méthode pour obtenir des résultats plus fiables et plus significatifs. Le second démontre qu'il manque un maillon entre le développement de la science expérimentale et la diffusion des valeurs puritaines: le Piétisme, comparé au Puritanisme chez Merton, bien que valorisant les mêmes principes que le Puritanisme, propose une science différentes de la science expérimentale (culte des Anciens, méfiance vis-à-vis des instruments techniques de mesure, méfiance vis-à-vis de l'approche mécanique...).

Les Mertoniens retiennent donc les trois premiers chapitres du livre, les cinq derniers, mais expriment leur insatisfaction face aux trois chapitres centraux. Ils continuent à débattre la STS Thesis non pas pour elle-même, mais pour le problème bien réel à laquelle elle est la réponse.


Conclusion:

Il paraît un peu naïf d'essayer d'expliquer pourquoi le débat autour de la Merton Thesis a duré aussi longtemps en n'affichant qu'une seule raisons. Il me semble que plusieurs raisons, prises ensemble, peuvent expliquer la durée et l'âpreté de ce débat:

1. la méthode de Merton est caractérisée par une faiblesse explicative (historiens et sociologues constructivistes)
2. la sociologie mertonienne est importante dans les institutions sociologiques, par conséquent, s'attaquer à la STS Thesis, c'est mettre en question la légitimité de cette institution (constructivistes)
3. la sociologie mertonienne est au coeur de la sociologie américaine des sciences
4. la STS Thesis est la mauvaise réponse à un vrai problème (mertoniens).


Sélection d'articles et de livres:

-Abraham (Gary A.), « Misundertanding the Merton Thesis : A Boundary Dispute between History and Sociology », Isis 74 (1983) : 368-387. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 233-245
-Becker (George), « The Merton Thesis : Oetinger and German Pietism, a Significant Negative Case », Sociological Forum, vol. 7, N°4, (dec., 1992), pp. 641-660.
-Boudon (Raymond), « What Middle-Range Theory Are », Contemporary Sociology, Vol. 20. N°4 (Jul., 1991), pp. 519-522.
-Carroll (James W.), « Merton’s Thesis on English Science », American Journal of Economics and Sociology 13 (July 1954) : 427-432. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 203-205.
-Cohen, (Bernard I), « Introduction : The Impact of the Merton Thesis », in Puritanism and the Rise of Modern Science. The Merton Thesis, ed I. Bernard Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 1-111.
-Cohen (H. Floris), Review : « Puritanism and the Rise of Modern Sience : The Merton Thesis by I. Bernard Cohen », Isis, Vol 83, n°2 (Jun. 1992), pp 324-325.
-Cole (Stephen), « Merton’s contribution to the Sociology of Science », Social studies of Science, vol. 34, n°6 (Dec., 2004), pp. 829-844.
-Gieryn (Thomas F.), « Distancing Science from Religion in Seventeenth-century England », Isis, vol 79, n°4 (Dec 1988), pp 582-593.
-Gieryn (Thomas F.), « Eloges : Robert. K. Merton, 1910-2003 », Isis, vol 95, n°1, March 2004, pp 91-94.
-Gillispie (Charles G.), « Mertonian Theses », in Science, 184, 1974, pp 656-660. Reprinted in 'Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis'', ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 132-141.
-Hall (Rupert A.), « Merton Revisited, or Science and Society in the Seventeenth Century », History of Science 2 (1963), 1-16. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 224-232.
-Hooykaas (R.), « Science and Reformation », in Journal of World History 3, (1956) : 109-139. UNESCO. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 189-199.
-Knorr-Cetina (Karin) « Merton’s Sociology of Science : The First and the Last Sociology of Science ? », Contemporary Philosophy, Vol 20, N°4 (Jul., 1991), pp 522-526.
-Mason (S. F.), « The Scientific Revolution and the Protestant Reformation », Annals of Science 9 (1953) : 64-87, 154-175. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 182-188.
-Merton (Robert K.), Science, Technology and Society in Seventeenth-Century England, Howard Fertig, New York, 2001.
-Pinch, (Trevor), "Review of Puritanism and the Rise of Modern Science: The Merton Thesis, by I. Bernard Cohen; K. Duffin; S. Strickland; R. K. Merton". Social Forces, Vol. 70, n°4 (Jun. 1992), pp. 1132-1133.
-Pinch (Trevor), « The Conservative and Radical Interpretations : Are some Mertonians « Kuhnians » and some Kuhnians « Mertonians » ? », Social Studies of Science, Vol. 27, n°3 (Jun., 1997), pp. 465-482.
-Rabb (T. K.), « Puritanism and the Rise of Experimental Science in England », Journal of World History 7 (1962) ; 46-57, 60-66. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 209-223.
-Rosen (Rosen), « Left-Wing Puritanism and Science », Bulletin of the Institute of the History of Medecine, 15 (1944) : 375-380. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 171-177.
-Shapin (Steven), « Understanding the Merton Thesis », Isis, vol 79, n°4 (Dec 1988), pp 594-605.
-Sivin (Nathan), « Science, Religion, and Boundary Maintenance », Contemporary Philosophy, Vol 20, N°4 (Jul., 1991), pp 526-530.
-Stimson (Dorothy), « Puritanism and the new Philosophy in Seventeenth-Century England », Bulletin of the Institute of the History of Medecine, 3 (May 1935) : 321-334. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 151-158.
(La liste complète des articles consacrés à ce livre est très longue. Une partie (jusqu'en 1990) de la bibliographie se trouve dans le recueil composé par B Cohen:Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis)


Note:

Le titre du billet provient de l'article suivant: Pinch, Trevor (Jun., 1992): "Review of Puritanism and the Rise of Modern Science: The Merton Thesis, by I. Bernard Cohen; K. Duffin; S. Strickland; R. K. Merton". Social Forces, Vol. 70, n°4, pp. 1132-1133. La citation est: "So what was all the fuss about? Why was Merton's work on the emergence of science in seventeenth-century Britain so inflammatory?" (p 1132).





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"So what was all the fuss about?" by Mikolka est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.






Saturday 4 October 2008

Against some ethical interpretations of the Milgram experiment

I attended this morning to a lecture by a physician and Professor at the University Claude Bernard Lyon 1 about the famous experiments of Stanley Milgram.

Here you can find a brief description of these experiments and a discussion of the statements made by the Professor.


I) Presentation of the experience:

The origin of the problem:

Stanley Milgram notes that if you want to explain the mortality rate in our societies, a small number of individuals sufficient. But explain the mass extermination of entire populations requires not only a very large number of individuals, but some institutions.

The problem is: how to explain the mass exterminations? Are all individuals likely to commit barbaric acts in certain situations (thesis of the banality of evil)? Or should we consider that this type of act is reserved for a handful of men suffering from psychiatric problems?

The experimental procedures:

The aim:

The aim of the experiment is to test the reaction of individuals facing an environment in which the authority is an important factor, ie the ability of individuals to obey. Naturally, as in most experiments in psychology, the individual know nothing about the purpose of the experiment.


The situation:

In some local newspapers, advertisement offering to participate inexperiments in psychology, can be read. Individuals wishing to participate are invited to Yale University. In a waiting room, one of these individuals meets another person who purports to come for the experiment.

After a while, a man in white coat, tell them to come in the room for the experimentation. He explains that the purpose of the experiment is to test the role of punishment in the learning process (which is not very well known). Then he describes the procedures of the test, while explaining the function of the technical equipment.

The test is simple. One will be an instructor and the other a student. The investigator merely has an observer role. The instructor reads a set of phrases easy to remember composed by a noun and an adjective (say, "blue sky"). After hearing this set, the student has to, while hearing the first part of a phrase, remember the missing part and tell it to the instructor. If the student responds correctly, he is not punished, if he does not answer correctly, he is punished. The punishment will be a shock.

The experience takes place in two separated rooms. In the basic version of the experiment, the rooms are connected by a loudspeaker and a microphone. In a room, there is a seat with straps, which will be where the student will be seating. In the other room, there is a table with some joysticks (30. Each joystick corresponds to a voltage, from 15 V to 450 V.

The rule is: if the student responds correctly, he does not have any shock, if he answers incorrectly, he received an electric shock more important than the last he received.

After this exhibition, a 45-volt shock is administered to both of them. They choose the student and the instructor by ballot. Eventually, they take their place and the experience begins.


The rules of the procedure:
-The person undergoing the experience knows nothing of the real purpose of the experiment.
-The person who will be the student is an actor.
-There is no electric shocks. Expressions of grief have been previously standardized (at each intensity of shock, a behavior is fixed) and are credible.
-The ballot is biased.
-If the person refuses to continue, the investigator has 4 replies to oppose him:
1. Please continue.
2. The experiment requires that you continue.
3. It is absolutely essential that you continue.
4. You have no other choice, you must go on.
-The experience ceases if the person refuses a 5th time. Otherwise, it continues until the monitor administers three times the highest voltage: 450 volts.


Results:

First experience (tested on 40 people, as described previously):
Avg shock Max (when the tested individual stops): 375 V
obedience rate (those who have gone through the experience): 63%

Alternative version: variying with the sound hear by the tested individual(the monitor only knows the answer, but neither heard nor saw the student):
maximum shock average: 405 volts.
obedience rate: 65%

Alternative version: the subject can see the student
Avg shock Max: 315 volts
obedience rate: 40%

Alternative version: contact with the tortured man (the monitor must keep the arm of the student in the strap):
Avg shock Max: 270 volts
obedience rate: 30%

Alternative version:variying with the sex: (woman instructor, the student is a male, base-experience):
Avg shock Max: 375%
obedience rate: 65%

Alternative version: "two companions rebelled. " 3 people besides the student: one describes the exercise, another describes the response of the pupil, another (the subject tested) presses the joystick. The first rebels at 150 volts, the second at 210 volts.
Avg shock max: 240 V
obedience rate: 10%

Alternative version: "another administers the shocks." A person (the subject tested) tells the answer of the student, the other administer the shock (without revolt):
Avg Max shock: 405%
obedience rate: 93%

Milgram, Stanley (1963), "Behavioral Study of Obedience", Journal of Abnormal and Social Psychology 67: 371–378 (full text PDF at webpage "Milgram Experiment", Wikipedia).

Milgram, Stanley. (1974), Obedience to Authority; An Experimental View. Harper Collins


II) The ethical interpretation:

This experience raises many ethical issues. It is not my purpose to discuss all these problems. I want to focus on an interpretation of applied ethics that was the thesis of the Professor.

What a person with a medical activity should conclude from these experiences? For example, how a nurse should respond to the authority of his superiors when they propose to do something that can cause some pain to others?

The professor told the audience that the only way to find the right solution was 1) to have very clear moral values, 2) to deliberate (to compare the opportunities, take time to think); 3) to be responsible; 4) to rethink the experience to be able to improve.

To say otherwise, he wanted to short-circuit the effect of habits by giving more importance to the beliefs (values) and the rational ability of the individual.


III) My objections:

During the lecture, I stated my opposition to his analysis of the Milgram experiment and to the ethical conclusions he had drawn from this analysis. Here's why

1) His presentation of the experiment is not conform to the work of Milgram. It can be noticed from the conclusions he draws from the experiments. He treats the act of the tested individuals as the result of some "prejudices". And the best way to fight them, according to him, is to make people more aware of what they are doing, to develop the rational capacity of people.

But the Milgram experiment does not test beliefs. It tests the answers of an individual facing a
authoritarian environment . It is an experience about behavior. The question of the beliefs is never taken into account by Milgram. From this point of view, it is possible that the people tested had very clear values and they could believed strongly in.

Note that the place of beliefs is taken into account in one experiment only: the alternative "two companions rebelled." In this experiment, the closed circuit "stimulus-response to the environment by the subject" is opened by the conduct which manifests disapproval of the two other individuals. The results (the lowest of all variants) shows that the individual has somehow been able to break this closed circuit.

Ultimately, the place of the belief is negligible in the context of the Milgram experiment. But the confusion that took place, and the ethical conclusions drawned by the Professor inherit from that confusion.

2) The ethical conclusion derived from this experience has already been stated: we must find a way to make people more aware of their activity and more sensitive to the pain of others.

Why this response is not the good answer? This response intends to change the beliefs, but it does not change behavior. But what matters in the Milgram experiment, is the behavior of individuals. Faced with a stimulation with an authoritarian character, beliefs have almost no power. I am afraid that only a "training" aimed at changing the behavior could change the response of an individual facing a stimulus with an authoritarian aspect. But this solution raises many ethical problems too.



Contre une certaine interprétation éthique des expériences de Milgram

J’ai assisté ce matin à une conférence prononcée par un médecin et professeur de médecine de l’Université Lyon 1 Claude Bernard consacrée aux fameuses expériences de psychologie sociale de Stanley Milgram.

Voici une présentation de la célèbre expérience de Milgram, suivie d'une discussion des thèses de ce professeur.



I) Présentation de l’expérience :

L’origine du problème :

Stanley Milgram constate que pour expliquer le taux de mortalité dans nos sociétés, un nombre restreint d’individus suffit. Mais pour expliquer des exterminations massives de populations entières, il faut non seulement très grand nombre d’individus, mais des infrastructures importantes.

Le problème est le suivant : comment expliquer les exterminations massives ? Tous les individus sont-ils susceptibles de commettre des actes barbares dans certaines situations (thèse de la banalité du mal) ? Ou doit-on considérer que ce type d’acte est réservé à une poignée d’hommes souffrant de problèmes psychiatriques importants les « disposant » à commettre des crimes ?

Le protocole expérimental :

*Le but :

Le but de l’expérience est de tester la réaction des individus face à un environnement dans lequel l’autorité est importante, c’est-à-dire la capacité des individus à obéir. Naturellement, comme dans la plupart des expériences de psychologie, l’individu ignore totalement le but de l’expérience.

*La situation :

On met des annonces dans la presse locale qui proposent de participer à des expériences de psychologie. Les individus qui souhaitent participer sont invités à l’Université de Yale. Dans une salle d’attente, l’un de ces individus fait la rencontre d’une autre personne qui se présente comme étant aussi venue pour l’expérience.

Après quelques minutes d’attente, un homme, en blouse blanche, les introduit dans une salle d’expérimentation. Ce dernier leur explique que le but de l’expérience est de tester le rôle mal connu de la punition dans les processus d’apprentissage. Ensuite, il leur expose le déroulement du test, tout en leur expliquant la fonction du matériel technique.

Le test est simple. L’un sera un moniteur et l’autre sera l’élève. L’expérimentateur se contente d’un rôle d’observation. Le moniteur lit une série d’expressions facile à mémoriser composée par un substantif et un adjectif (ciel bleu). Après avoir entendu cette série, l’élève doit, quand on lui lit une partie de l’expression, retrouve la partie manquante. Si l’élève répond correctement, il n’est pas puni ; s’il répond incorrectement, il est puni. La punition sera un choc électrique.

L’expérience a lieu dans deux pièces séparées. Dans la version de base de l’expérience, les deux pièces ne sont reliées que par un haut-parleur et un microphone. Dans une pièce se trouve un siège, avec des sangles, sur laquelle sera l’élève. Dans l’autre pièce se trouve un tableau électronique avec des manettes (30 au total). À chaque manette correspond un voltage, de 15 V à 450 V, de 15 en 15.

La règle est la suivante : si l’élève répond correctement, il ne subit pas de choc ; s’il répond incorrectement, il reçoit un choc électrique plus important que le dernier reçu.
Après cette exposition, un choc de 45 volts est administré aux deux personnes. Ensuite, on tire au sort l’élève et le moniteur. Ils prennent place et l’expérience commence.

Les règles protocolaires :
-La personne qui subit l’expérience ignore le but réel de l’expérience.
-La personne qui sera l’élève est un comédien.
-Il n’y a pas de chocs électriques. Les expressions de la douleur ont été standardisées auparavant et sont crédibles.
-Le tirage au sort est biaisé.
-Si la personne refuse de continuer, l’expérimentateur a 4 réponses à lui opposer :
1. Please continue.
2. The experiment requires that you continue.
3. It is absolutely essential that you continue.
4. You have no other choice, you must go on.
-L’expérience cesse si la personne refuse un 5ème fois. Sinon, elle continue jusqu’à ce que le moniteur administre trois fois le plus haut voltage : 450 volts.

Les résultats :

-Expérience de base (testée sur 40 personnes) :
moy choc maxi (avant d’arrêter) : 375 V
taux d’obéissance (ceux qui sont allés jusqu’au bout de l’expérience : 63%

-Variante qui joue sur la proximité sonore avec la victime (le moniteur connaît seulement la réponse, mais n’entend ni ne voit l’élève) :
choc maxi moyen : 405 volts.
taux d’obéissance : 65%

-Variante avec proximité visuelle :
Moy choc maxi : 315 volts
taux d’obéissance : 40%

-Variante avec le contact (le moniteur doit maintenir le bras dans la sangle) :
Moy choc maxi : 270 volts
taux d’obéissance : 30%

Variante sur le sexe : (monitrice, avec un homme pour comédien, expérience de base) :
Moy choc maxi : 375%
taux d’obéissance : 65%

-Variante « deux compagnons se rebellent ». 3 personnes sont devant les manettes : une décrit l’exercice, une indique quelle est la réponse de l’élève, une autre enfin (le sujet testé) appuie sur les manettes. La première se révolte à 150 volts, la seconde à 210 volts.
moy choc maxi : 240 V
taux d’obéissance : 10%

-Variante « un pair administre les chocs ». Une personne (le sujet testé) indique la réponse, l’autre appuie (sans révolte) :
choc maxi : 405%
taux d’obéissance : 93%
Milgram, Stanley (1963). "Behavioral Study of Obedience". Journal of Abnormal and Social Psychology 67: 371–378. (Le texte est en accès libre sur Wikipedia).
Milgram, Stanley. (1974), Obedience to Authority; An Experimental View. Harpercollins.


II) L’interprétation éthique :

Cette expérience soulève beaucoup de problèmes éthiques très importants. Il n’est pas question de discuter tous ces problèmes. Je veux me concentrer sur une interprétation d’éthique appliquée qui fut celle de ce professeur.

Quelle(s) conclusion(s) une personne ayant une activité médicale doit-elle tirer de ces expériences ? Par exemple, comment un membre du personnel infirmier doit-il réagir face à l’autorité de ses supérieurs quand il lui propose de faire des actes qui peuvent provoquer des souffrances à autrui ?

Ce professeur a soutenu devant l’auditoire que le seul moyen de trouver la bonne solution était 1) d’avoir des valeurs morales très claires ; 2) de délibérer (évaluer les possibilités, prendre du temps pour réfléchir) ; 3) d’être responsable ; 4) de repenser aux expériences passées afin d’être capable de s’améliorer.

Pour le dire autrement, il pense court-circuiter l’effet des habitudes en donnant une grande importance aux croyances (valeurs) et à l’activité rationnelle.


III) Mes objections :

Je me suis opposé à son analyse de l’expérience de Milgram et aux conclusions éthiques qu’il tirait de cette analyse. Voici pourquoi.

1) Sa présentation de l’expérience n’était pas conforme au travail de Milgram. On le remarque très bien à partir des conclusions qu’il tire des expériences. Ce qui manifeste dans l’effet de l’habitude, ce sont, d’après lui, des « préjugés ». Le seul moyen de lutter contre les « préjugés », toujours d’après lui, c’est de rendre la conscience « plus dynamique » (son expression).

Or l’expérience de Milgram ne vise pas à tester les croyances, mais les réponses d’un individu face à une stimulation à caractère autoritaire. C’est une expérience béhavioriste qui ne considère que le comportement. À aucun moment, la question des croyances n’est prise en compte par Milgram. De ce point de vue, il est possible que les personnes testées aient eu des valeurs très claires auxquelles elles croyaient fortement.

Remarquez que la place des croyances n’intervient que dans une seule expérience : la variante « les deux compagnons se rebellent ». Dans cette expérience, le circuit fermé « stimulus de l’environnement-réponse du sujet » est parasité par un comportement qui manifeste une désapprobation. Les résultats (les plus faibles de toutes les variantes) montre d’ailleurs que l’individu a en quelque sorte pu sortir de ce circuit fermé, peut-être réfléchi un peu, peut-être pris conscience qu’il était entrain de torturer une personne pour une raison absurde.

En définitive, la croyance des individus testés est négligeable dans le cadre de l’expérience de Milgram. Mais la confusion ayant eu lieu, les conclusions éthiques que ce professeur tirent ne peuvent être qu’inappropriées.

2) La conclusion éthique qu’il tire de cette expérience a déjà été énoncée : il faut trouver le moyen de rendre les individus plus conscients de leur activité et plus sensible à la douleur d’autrui.

Pourquoi cette réponse n’est-elle pas la bonne ? Cette réponse ne vise qu’à modifier les croyances des individus, elle ne vise pas à modifier le comportement. Or, ce qui importe dans l’expérience de Milgram, c’est le comportement des individus. Face à une stimulation à caractère autoritaire, les croyances ont un pouvoir très faible. Seule une « formation » qui viserait à modifier le comportement pourrait changer la réponse d’un individu face à un stimulus à caractère autoritaire.