Monday 13 October 2008

"So what was all the fuss about", débat autour de la Merton Thesis (1938-2008)

En 1938, Robert K. Merton, fraîchement diplômé de l’Université de Harvard, publie une monographie intitulée Science, Technology and Society, in Seventeenth-Century England (abrégé ensuite en STS, conformément à l’usage), dans la collection Osiris, dirigée par G. Sarton, spécialisée en histoire des sciences.

STS est une version améliorée de sa thèse. L’entreprise de Merton peut être résumée de la manière suivante :

1. la mise en évidence d’un changement dans la valeur accordée à la science (la Philosophie naturelle) et aux activités techniques par la société anglaise de la fin 17ème siècle (chapitres 1-3) ;
2. l’identification de l’éthos du Puritanisme comme cause du changement dans le système de valeurs culturelles (chapitres 4-6) ;
3. les conséquences de ce changement axiologique sur les découvertes technologiques et scientifiques dans la société anglaise du 17ème siècle (chapitres 7-9) ;
4. d’autres remarques sur les rapports entre la société et la science (chapitres 10-11).

En 2008, le livre de Merton fait encore l’objet de nombreuses analyses dans les revues de sociologie américaines, à travers le débat autour de la Merton Thesis. Rares sont les travaux scientifiques qui sont l’objet d’un débat aussi long. C’est pourquoi la question de savoir pour quelles raisons le livre de Merton est encore débattu mérite d’être posée. (J'insiste sur le fait que mon but n'est pas d'exposer la théorie mertonienne, mais de rendre compte du débat.)



1) Quelques mots sur la genèse et le contenu du livre:

1-1) Le contexte:

Lorsque Merton fait ses études et rédige sa thèse, il a face à lui trois grandes théories pour rendre compte des événements passés des sciences : 1) la théorie des grands hommes ; 2) la théorie marxiste de la science ; 3) la théorie progressiste de la science. J’explicite ce contexte méthodologique pour vous permettre de mieux rentrer dans le débat.

1-1-1) La théorie des grands hommes :

La théorie des grands hommes est une explication des événements de l’histoire par l’hypothèse de la puissance du génie. Tous les grands changements (paradigmatiques ou non) sont provoqués par des individus isolés qui construisent des théories indépendamment de l’environnement où il se trouve. Les autres individus sont des épigones.

Merton n’a pas trouvé cette théorie satisfaisante. Après avoir dépouillé, des relevés d’inventions, il s’est rendu compte que le nombre de doublon, de triplets, de quadruplets… est extrêmement élevé. Autrement dit, pour le dire trivialement, une théorie n’a pas besoin d’un homme (d'un génie) pour être découverte. C’est qui a conduit Merton à aborder la question des événements passés des sciences du point de vue de la collectivité.

1-1-2) La théorie marxiste de la science :

Aujourd’hui, alors que certains aspects du marxisme paraissent désuets, la théorie marxiste paraît difficilement soutenable. Elle consisterait à expliquer le contenu des théories par les conditions sociales. Nombreux sont ceux qui, en 1938, lors de la publication du livre de Merton, soutiennent cette position. I B Cohen souligne d’ailleurs que les marxistes furent les premiers à associer la société et la science dans une perspective sociologique. Le grand exemple pour Merton, c’est Boris Hessen (cf bibliographie), qui montra que la théorie newtonienne découlait des conditions sociales de l’Angleterre au 17ème siècle. Mais il est nécessaire d’ajouter qu’il avait exprimé des doutes sur cette méthode et qu’il a écrit son article pour se racheter. Son jeu fut vite découvert. Je vous laisse imaginer la sordide suite.

Merton n’a pas été convaincu par cette théorie, car certains aspects théoriques sont irréductibles aux phénomènes sociaux. Mais Merton, au lieu de laisser totalement de côté la question du rapport entre la société et la science, la reprend sans essayer d’établir un rapport causal asymétrique.

1-1-3) La théorie progressiste de la science :

Principalement soutenue par des scientifiques, la théorie progressiste de la science consiste (1) à dire que la science progresse d’erreur en erreur en se rapprochant de la vérité peu à peu ; (2) à essayer de démontrer l’intérêt d’une application des sciences dans la société et de la technologisation de la société.

Merton la rejette, parce que ce n’est pas une véritable enquête (descriptive) sur les rapports entre la société et les sciences, mais une véritable entreprise normative : ce que doit et peut être la société pénétrée de sciences. La pauvreté descriptive de leur travail le confirme dans son projet.

1-1-4) Un cas particulier : Alphonse de Candolle

Merton lit assez rapidement un sociologue oublié, le Suisse Alphonse de Candolle, qui dans Histoire des sciences et des savants depuis deux siècles (Genève, 1885), fait une étude sur les rapports entre la religion et la science. Sa méthode est tout à fait particulière : au lieu de prendre d’un côté le contenu théorique des doctrines religieuses et de l’autre les théories scientifiques, de les comparer, puis de tirer des conclusions du type « le calvinisme n’a pas pu causer la science expérimentale », de Candolle prend les listes des sociétés savantes, étudie les membres des sociétés dans le pays et les membres associés (les correspondants) dans des pays étrangers, essaie de déterminer leur religion, puis compare les données sociologiques sur les religions dans les pays concernés, et enfin compare les résultats.

Quels sont les résultats ? Voici :
« On the list of Foreign Associates of the Academy of Paris, you do not find a single English or Irish Catholic, although the proportion of Catholics in the population of the three kingdoms is more thant a fifth. Austria is not represented, and in general, Catholic Germany is almost completely absent in comparison with Protestant Germany. » (chapitre « Influence de la religion »).

Merton cite Alphonse de Candolle dans STS. C’est lui (avec quelques autres, notamment D. Stimson) qui le met sur la voie : 1) grâce à lui, il trouve un moyen pour éviter les explications causales ; 2) grâce à lui, il a un objet d’étude précis vers lequel il peut orienter ses recherches sociales : le protestantisme.

1-1-5) La sociologie de Pareto :

Un mot sur Pareto. À Harvard, dans les années 1920’s et 1930’s, Pareto est l’auteur préféré des chercheurs en sociologie qui ne veulent pas du modèle d’explication marxiste. Talcott Parsons lui-même a beaucoup travaillé Pareto avec Merton. Un séminaire fut organisé sur Pareto à la fin des années 1920 à Harvard.

De Candolle lui montre qu’on peut éviter les explications causales. Mais que faire ? Merton trouve la solution chez Pareto : (1) l’explication causale se fait en termes de « mutual interdependence » et non plus en termes de cause/effet ; (2) ce qui est l’objet des modifications dans ces relations, ce sont les sentiments (ethos chez Merton). Je n’insiste pas sur la première partie. Il est très clair que Merton n’étudie pas le corps de doctrine du Puritanisme et du Protestantisme (issu de Calvin ou de Luther), mais bel et bien des valeurs (sentiments) plus diffuses dans la société, qui se sont manifestées avec le plus de distinction dans le Puritanisme, mais qui ne sont pas réductibles au Puritanisme.

1-2) Le contenu de STS :

1-2-1) Le point de départ de Merton :

Merton consulte plusieurs dictionnaires et œuvres pour lui fournir des data. Le plus important est le DNB : Dictionary of National Biography. Il comprend 29 120 notices consacrées à des individus qui ont atteint une certaine réussite dans l’histoire britannique. Merton compulse l’ensemble consacré au 17ème siècle et trouve quelques résultats intéressants :

-Dans les arts littéraires : le 17ème siècle est l’âge où on assiste à un déclin progressif de la poésie face à la prose, jusqu’au 3/4 de ce siècle, où soudainement la poésie est condamnée, du moins franchement dévalorisée par rapport à la prose.

-Dans les sciences : les médecins et les chirurgiens deviennent des gens reconnus (on leur fait des honneurs). Je ne retrace pas l’ensemble, mais voici la remarque importante de Merton :

« Science became fashionable, which is to say : it became highly approved. Charles II himself with his interest in chemistry and navigation, set the example. Prince Rupert commended the pursuit of natural philosophy and also participated in such activity. Sir Matthew Hale and Lord Keeper Guilford attended to problems in hydrostatics. It began to be considered almost abnormal for a « gentleman of culture » to overlook the « charms » of science. (…) Science had definitively been elevated to a place of high regard in the social system of values ; and it was this positive estimation of the value of science (…) which led ever more individuals to scientific pursuits. » (pp 27-28, dans l’édition de 2001).

Merton a donc tiré 2 conclusions après avoir étudié de près le DNB : 1) il y a un changement de valeur dans la société britannique qui se caractérise par une évaluation favorable de la science ; 2) ce changement de valeur a été la condition (nécessaire ou suffisante ?) pour que des individus acceptent de considérer la vocation scientifique comme acceptable (ce qui explique l’augmentation considérable du nombre d’inventions et de découvertes à la fin du 17ème s).

Voilà l’objet de Merton : le changement dans le système de valeurs et la vocation scientifique.

Mais entendons-nous bien : il ne cherche pas ce qui a pas rendu possible la philosophie naturelle, mais ce qui a rendu possible l’institutionnalisation de la philosophie naturelle. L’objet de Merton, c’est cela : comment un phénomène est-il devenu institutionnel ? Comment l’institutionnalisation de la science moderne s’est-elle produite ? (C’est pourquoi les comparaisons avec Weber doivent être prises avec prudence, car Merton est très influencé par Durkheim).

C’est d’ailleurs pourquoi les historiens n’ont rien compris à Merton. Ils cherchaient dans STS des thèses sur la révolution scientifique (car c’est bien de cela qu’il s’agit). Ils n’ont pas compris que plus Merton fouillait dans les archives, plus il s’intéressait aux valeurs, aux sentiments, plus il s’écartait de l’histoire et faisait de la sociologie des institutions.



2) L'hypothèse de la mécompréhension:

2-1) Merton Thesis et STS Thesis:

La Merton Thesis, ou la thèse qu’on a cru trouver dans la monographie écrite par Merton, décrit les rapports entre la science expérimentale et le Puritanisme dans la société anglaise du 17ème siècle: les propriétés du Puritanisme peuvent être considérées comme les causes de la naissance de la science expérimentale, des caractéristiques de la science expérimentale, de l'intérêt que les individus ont eu pour ce type d'activité (la "vocation de savant"). Le Puritanisme, en promulguant l'utilitarisme et l'empirisme, aurait entraîné la chute du monde hérité de la Renaissance.

Outre le fait que la Merton Thesis ne concerne qu’une partie du livre (cf Merton, préface de l'édition de 1970, p. xxxiii dans l'édition de 2001), Robert K. Merton a explicitement soutenu que sa monographie ne vise pas à établir un rapport de causalité univoque de telle sorte que A (le Puritanisme) soit la cause de B (la science expérimentale) :

« It would have been fatuous for the author to maintain, as some swift-reading commentators upon the book would have him maintain, that, without Puritanism, there could have been no concentrated development of modern science in seventeenth-century England. Such a imputation betrays a basic failure to understand the logic of analysis and interpretation in historical sociology. (…) In the case in hand, it is certainly not the case that Puritanism was indispensable in the sense that if it had not found historical expression at that time, modern science would not then have emerged. (…) As it happened, Puritanism provided major (not exclusive) support in that historical time and place. But that does not make it indispensable. » (Préface de la réédition de STS de 1970, p xl dans l'édition de 2001).

Quelles conclusions en tirer? Puisque le but de Merton n'a pas été d'expliquer la science expérimentale par le Puritanisme, au sens où il ne soutient pas que sans le Puritanisme il n'y aurait pas eu de science expérimentale, la thèse de STS (STS Thesis) ne correspond pas à la Merton Thesis.

Quelles sont les différences entre la Merton Thesis et la STS Thesis ?

1. Le rapport entre les éléments étudiés : dans la Merton Thesis, le rapport entre la religion et la science est asymétrique (si nonA, alors nonB, et si A, alors B) ; tandis que dans la STS Thesis, c’est un rapport d’interdépendance qui relie les deux éléments (A et B) (cf préface de 1970, p xxxiii dans l’édition de 2001).
2. Le domaine d’explication : dans la Merton Thesis, le contenu de la science expérimentale est expliqué par le Puritanisme ; tandis que la STS Thesis ne prétend pas expliquer le contenu de la science, mais un changement dans le système des valeurs.
3. L’interprétation du Puritanisme : dans la Merton Thesis, le Puritanisme est un groupe social religieux défini (T. K. Rabb, 1962) ; tandis que dans la STS Thesis, le Puritanisme désigne un ensemble de valeurs diffuses dans la société anglaise du 17ème (G. A. Abraham, 1983, p 238 chez Cohen ; Merton, 2001 : IV, p 56).


2-2) Confusion entre Merton Thesis et STS Thesis:

Il y a une telle différence entre la Merton Thesis et la STS Thesis que nous sommes obligés de les distinguer. Paradoxalement, il semblerait que le débat sur le livre de Merton soit, en grande partie, très éloigné des propos tenus par Merton. Les termes de ce débat ont été hérités d'un débat plus ancien: la Weber Thesis (T. K. Rabb, 1962, p 210 chez Cohen). Cette thèse avait pour but de décrire le rôle de l'esprit du protestantisme dans le développement du capitalisme moderne.

Certains sociologues et historiens ont tenté de démontrer que cette confusion avait largement participé à la durée et à l’âpreté du débat. On peut dire que cette explication a même rencontré un large succès, car elle a été soutenue par beaucoup de commentateurs et pendant assez longtemps. Ils soutiennent que c’est précisément parce que la STS Thesis a été confondue avec le Merton Thesis que le livre a été l’objet des foudres des historiens et des sociologues pendant aussi longtemps (Stephen Shapin, 1988 ; Trevor Pinch, 1992 ; Joseph Ben-David, 1985).

Pour G. A. Abraham, Merton lui-même aurait joué un rôle dans cette confusion à cause de certains flottements dans son argumentation (G. A. Abraham, 1983). Ayant identifié deux arguments distincts dans l’œuvre de Merton, l’un visant à démontrer l’importance du Puritanisme dans l’institutionnalisation de la science et l’autre tentant de montrer que la science a été perçue comme une vocation digne de poursuite grâce aux Puritains, Abraham soutient que Merton ne maintient pas une stricte limite entre les deux :

« Nevertheless Merton’s own formulation are not free from ambiguity : he does not keep the two lines of his argument separate… It is not clear from such a statement whether Merton intends to refer to mass perceptions of science or to the personal attitude required (by his thesis) of scientists themselves. » (p 236, Cohen).

Si le Puritanisme est la raison de la poursuite scientifique, alors il est fort à parier que les principes puritains ont des conséquences sur le contenu de la science. Par conséquent, en ne séparant pas nettement les deux arguments, Merton encourt le risque de voir ses précautions réduites à néant.


2-3) Discussion de l'hypothèse:

Peut-on tenir cette explication pour satisfaisante ? Deux raisons s’y opposent. La première raison est que la confusion entre la Merton Thesis et la STS Thesis ne vient que caractériser la manière dont le débat s’est déroulé et ne saurait constituer une raison pour les historiens et les sociologues de revenir au livre de Merton. On ne peut pas inférer que tous les historiens et les sociologues de la science aient eu envie de revenir sur STS du fait que certaines personnes se sont trompées dans l’interprétation des thèses du livre.

La seconde raison est que cette explication n’est qu’une manière de repousser le problème. Faisons l’hypothèse que si la STS Thesis avait été bien comprise, alors elle n’aurait pas suscité un tel débat. Du fait que la STS Thesis est bien distincte de la Merton Thesis, alors la question de savoir pourquoi la ''Merton Thesis" a entraîné un débat reste entièrement ouverte. C’est pourquoi je propose d'abandonner cette hypothèse et de revenir à la réception du livre.


3) L'enjeu de la méthode (le débat internalisme/externalisme):

3-1) Les objections des historiens:

Étant donné que le livre a été publié dans une collection d’histoire des sciences, les historiens furent les premiers à réagir à la monographie de Merton. Comme le remarque I. B. Cohen (Cohen, 1990), les historiens furent troublés par la teneur sociologique de l’investigation de Merton : il ne s’agissait pas d’expliquer le contenu de la science expérimentale par le développement du Puritanisme, mais de montrer l’interdépendance de l’institutionnalisation de la science et de la diffusion de l’éthos puritain dans la société anglaise du 17ème siècle.

Ce moment passé, les historiens ont soulevé des problèmes méthodologiques importants sur le statut de la causalité dans les sciences humaines. L’historien A. R. Hall a sans aucun doute le mieux exprimé ces problèmes (Hall, 1963) :

« Iteration and exemplification cannot, in any case, make the proposition « many scientists are Protestants » equivalent to the statement « men are scientists because they are Protestants ». If induction by enumeration fails, as it must in this instance, what permits the inderence that the association of science and Protestantism is more than a temporal correlation ? (…) The weakness was there from the first in (for example) the reluctance of Merton to declare precisely what the relation between religion and science was. If Puritanism was not the « ultimate cause » of (say) the Principia, was it a cause ? » (p 228, 230).

Dans le débat qui oppose l’externalisme et l’internalisme, Merton ne prend pas position en faveur d’un externalisme « fort », au sens où il ne soutient pas que le Puritanisme en tant que fait social puisse expliquer le contenu des propositions scientifiques, comme l’on fait certains sociologues de tendance marxiste (Hessen, 1931). Hall pose la question de la dimension explicative de cette méthode : si Merton n’est pas internaliste et si son externalisme consiste à rapprocher des phénomènes sans expliciter leur relation, peut-on dire qu’il explique quelque chose ? L’impuissance explicative de la méthode mertonienne va conduire les historiens à privilégier la méthode internaliste telle qu’elle est pratiquée par Koyrée dans les Études galiléennes (Rabb, 1962, p. 223 dans l’édition de Cohen) et se détacher totalement de l’externalisme (Hall, 1963, p 230 dans l’édition de Cohen ; Rabb, 1962, p 223 dans l’édition de Cohen).


3-2) La récupération du débat par la sociologie post-mertonienne (le constructivisme sociologique):

Au sein même de la sociologie mertonienne, l’objection de R.A. Hall paraît pertinente (Ben-David, 1985, page 256, dans l’édition de Cohen). La validité de cette objection est apparue à de nombreux chercheurs en sociologie. La STS Thesis est apparue non pas comme un externalisme causal (au sens où elle établirait une relation de causalité entre deux phénomènes), mais comme un externalisme épistémique, au sens où elle tâcherait de rendre compte des croyances des individus sur un objet (la science expérimentale), sans jamais compte de la « construction sociale » de cet objet (Gieryn, 1988, p 587-588 ; Sivin, 1991, p 530 ; Gieryn, 2004, p93).

« What is significant is the extent to which the problems historians had with Merton’s approach and the problems on account of which the new social studies of science moved away from Mertonianism are identical. The point is that social influences upon science, and indeed the social makeup of science, cannot be adequately understood if the « cognitive » beliefs, the methodical procedures, the ontological assumptions, and more generally the technical structure of this institution are not known, and not addressed in the analysis. Merton’s definition of science remained an outsider’s definition. Since then, the sociology of science has emulated the history and philosophy of science by becoming a field that includes the substance of science. » (Knorr-Cetina, 1991, p 524).

Le reproche de Knorr-Cetina à la STS Thesis est qu'elle ne ressemble pas assez à la Merton Thesis. Le constructivisme a concentré ses attaques contre la sociologie externaliste promue par Merton, mais aussi par Talcott Parsons, pour mettre en avant ses propres méthodes. En quelque sorte, ce mouvement s’est servi de la STS Thesis comme d’un tremplin, prolongeant le débat avec un nouvel enjeu.


3-3) La dérive "politique" du débat:

Un autre aspect est peut-être venu nourrir la critique de la STS Thesis: R. K. Merton, premier sociologue à recevoir les honneurs de la prestigieuse National Academy of Science, fondateur de la Society for Social Studies of Science (4S), était une incarnation de la sociologie « institutionnalisée ». En tant que mouvement émergent, le constructivisme sociologique devait trouver le moyen de lutter contre la puissance institutionnelle de la sociologie mertonienne.

S’attaquer à la monographie de Merton, à la STS Thesis était non seulement poursuivre un débat aux enjeux scientifiques, mais aussi aux enjeux « politiques », car les constructivistes, en tentant de montrer la faiblesse théorique des travaux de Merton remettaient en question la légitimité des institutions « mertoniennes ».

Alors que la discussion sur la STS Thesis aurait pu cesser dans les années 1960, d’une part parce que Merton avait changé de piste de recherches, et, d’autre part, parce que les historiens des sciences s’écartaient de l’externalisme, le débat a été repris en main, dans le camp des sociologues, par les constructivistes. Mais ce fut à la fois pour des raisons méthodologiques et à la fois pour des raisons « politiques » qu’ils ont poursuivi le débat sur la STS Thesis.


4) Retour sur la STS Thesis:

Le débat autour du livre de Merton fut donc très complexe : dans un premier temps, la STS Thesis est confondue avec ce qu’on a nommé la Merton Thesis ; dans un second temps, alors que la STS Thesis commence à être bien comprise, la discussion scientifique du livre est parasitée par un débat aux enjeux « politiques ».

4-1) La ''STS Thesis" et la sociologie américaine :

Toutefois, ces confusions ont eu le mérite de concentrer l’attention sur la STS Thesis et sur les problèmes propres à la sociologie des sciences. La véritable question du livre, à savoir le problème de l’institutionnalisation de la science expérimentale ("why did it become fashionable?") et du changement d’un système de valeurs en faveur de la science et de la technologie, fut mieux comprise pendant la discussion critique.

Cette meilleure compréhension eut des conséquences importantes, notamment parce qu’elle permit de prendre conscience que Merton avait trouvé un problème auquel il n’a pas donné de solution satisfaisante. La première conséquence fut d’entraîner des modifications dans l’approche afin d’obtenir une explication plus convaincante. Je reviens sur ce point dans la section suivante. La seconde conséquence fut d’ouvrir le champ de la sociologie de la connaissance aux USA. Les promertoniens s’accordent sur ce point :

« When Merton Produced his doctoral dissertation in 1935 the sociology of science was not a recognized field. Universities did not offer courses in this subject and it was not considered a recognized speciality. (…) There were other books produced in the 1930’s and early 1940’s expressing themes of science and society, including Julian Huxley’s Science and Social Needs (1935), Hyman Levy’s The Universe of Science (1933), Lancelot Hogben’s Mathematics for the Million (1936) and Science for the Citizen (1938), as well as as J. G. Crowther’s many volumes, culminating in his The Social Relations of Science (1941). It is notable, however, that these works were all produced by socially minded scientists and were not informed by considerations of professional sociologists, but exhibited instead a liberal or vague Marxism. In fact, many such writings –almost exclusively by British men of science- tended to be more concerned with the potentialities of science as a major molding force of a better society than with an analysis of the possible effects or influences of society on the course of science and its stages of development. » (Cohen, 1990, pp 4-5).

Mais aussi les antimertoniens ou les constructivistes :

« When he published his classic Science, Technology and Society in Seventeenth-Century England, in 1938, the sociology of science was not a recognized field. Fifty years later, an abundance of programs of intruction and centers of research in social studies of science and technology can be found in the United States and Europe, and the status of sociology of science as an academic subdiscipline is beyond question. » (Knorr-Cetina, 1991, p 522)

Si le livre de Merton est aussi important, s’il a engendré un débat aussi long, c’est aussi parce qu’il est à l’origine d’une discipline, de son thème et de son institutionnalisation. La sociologie américaine des sciences a une dette envers Merton et ses travaux sur la science. Chaque fois qu’elle fait retour sur elle-même, elle se trouve face aux travaux de Merton.

4-2) La faiblesse explicative de la thèse et les mertoniens :

En dépit de ce statut, on peut difficilement parler d’une école « mertonienne » de sociologie. Ceux qui ont essayé de suivre littéralement la voie tracée par Merton, se sont souvent fourvoyés dans la Merton Thesis (exemple : Hooykaas, 1956).

Les Mertoniens sont en définitive ceux qui ont repris le problème sans admettre l’explication avancée par Merton. C’est le cas de Stephen Cole (Cole, 2004) et de George Becker (Becker, 1992). Le premier, après une analyse du livre et une exposition de ses défauts, propose une méthode pour obtenir des résultats plus fiables et plus significatifs. Le second démontre qu'il manque un maillon entre le développement de la science expérimentale et la diffusion des valeurs puritaines: le Piétisme, comparé au Puritanisme chez Merton, bien que valorisant les mêmes principes que le Puritanisme, propose une science différentes de la science expérimentale (culte des Anciens, méfiance vis-à-vis des instruments techniques de mesure, méfiance vis-à-vis de l'approche mécanique...).

Les Mertoniens retiennent donc les trois premiers chapitres du livre, les cinq derniers, mais expriment leur insatisfaction face aux trois chapitres centraux. Ils continuent à débattre la STS Thesis non pas pour elle-même, mais pour le problème bien réel à laquelle elle est la réponse.


Conclusion:

Il paraît un peu naïf d'essayer d'expliquer pourquoi le débat autour de la Merton Thesis a duré aussi longtemps en n'affichant qu'une seule raisons. Il me semble que plusieurs raisons, prises ensemble, peuvent expliquer la durée et l'âpreté de ce débat:

1. la méthode de Merton est caractérisée par une faiblesse explicative (historiens et sociologues constructivistes)
2. la sociologie mertonienne est importante dans les institutions sociologiques, par conséquent, s'attaquer à la STS Thesis, c'est mettre en question la légitimité de cette institution (constructivistes)
3. la sociologie mertonienne est au coeur de la sociologie américaine des sciences
4. la STS Thesis est la mauvaise réponse à un vrai problème (mertoniens).


Sélection d'articles et de livres:

-Abraham (Gary A.), « Misundertanding the Merton Thesis : A Boundary Dispute between History and Sociology », Isis 74 (1983) : 368-387. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 233-245
-Becker (George), « The Merton Thesis : Oetinger and German Pietism, a Significant Negative Case », Sociological Forum, vol. 7, N°4, (dec., 1992), pp. 641-660.
-Boudon (Raymond), « What Middle-Range Theory Are », Contemporary Sociology, Vol. 20. N°4 (Jul., 1991), pp. 519-522.
-Carroll (James W.), « Merton’s Thesis on English Science », American Journal of Economics and Sociology 13 (July 1954) : 427-432. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 203-205.
-Cohen, (Bernard I), « Introduction : The Impact of the Merton Thesis », in Puritanism and the Rise of Modern Science. The Merton Thesis, ed I. Bernard Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 1-111.
-Cohen (H. Floris), Review : « Puritanism and the Rise of Modern Sience : The Merton Thesis by I. Bernard Cohen », Isis, Vol 83, n°2 (Jun. 1992), pp 324-325.
-Cole (Stephen), « Merton’s contribution to the Sociology of Science », Social studies of Science, vol. 34, n°6 (Dec., 2004), pp. 829-844.
-Gieryn (Thomas F.), « Distancing Science from Religion in Seventeenth-century England », Isis, vol 79, n°4 (Dec 1988), pp 582-593.
-Gieryn (Thomas F.), « Eloges : Robert. K. Merton, 1910-2003 », Isis, vol 95, n°1, March 2004, pp 91-94.
-Gillispie (Charles G.), « Mertonian Theses », in Science, 184, 1974, pp 656-660. Reprinted in 'Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis'', ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 132-141.
-Hall (Rupert A.), « Merton Revisited, or Science and Society in the Seventeenth Century », History of Science 2 (1963), 1-16. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 224-232.
-Hooykaas (R.), « Science and Reformation », in Journal of World History 3, (1956) : 109-139. UNESCO. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 189-199.
-Knorr-Cetina (Karin) « Merton’s Sociology of Science : The First and the Last Sociology of Science ? », Contemporary Philosophy, Vol 20, N°4 (Jul., 1991), pp 522-526.
-Mason (S. F.), « The Scientific Revolution and the Protestant Reformation », Annals of Science 9 (1953) : 64-87, 154-175. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 182-188.
-Merton (Robert K.), Science, Technology and Society in Seventeenth-Century England, Howard Fertig, New York, 2001.
-Pinch, (Trevor), "Review of Puritanism and the Rise of Modern Science: The Merton Thesis, by I. Bernard Cohen; K. Duffin; S. Strickland; R. K. Merton". Social Forces, Vol. 70, n°4 (Jun. 1992), pp. 1132-1133.
-Pinch (Trevor), « The Conservative and Radical Interpretations : Are some Mertonians « Kuhnians » and some Kuhnians « Mertonians » ? », Social Studies of Science, Vol. 27, n°3 (Jun., 1997), pp. 465-482.
-Rabb (T. K.), « Puritanism and the Rise of Experimental Science in England », Journal of World History 7 (1962) ; 46-57, 60-66. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 209-223.
-Rosen (Rosen), « Left-Wing Puritanism and Science », Bulletin of the Institute of the History of Medecine, 15 (1944) : 375-380. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 171-177.
-Shapin (Steven), « Understanding the Merton Thesis », Isis, vol 79, n°4 (Dec 1988), pp 594-605.
-Sivin (Nathan), « Science, Religion, and Boundary Maintenance », Contemporary Philosophy, Vol 20, N°4 (Jul., 1991), pp 526-530.
-Stimson (Dorothy), « Puritanism and the new Philosophy in Seventeenth-Century England », Bulletin of the Institute of the History of Medecine, 3 (May 1935) : 321-334. Reprinted in Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis, ed by I. B. Cohen, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1990, pp 151-158.
(La liste complète des articles consacrés à ce livre est très longue. Une partie (jusqu'en 1990) de la bibliographie se trouve dans le recueil composé par B Cohen:Puritanism and the Rise of Modern Science : the Merton Thesis)


Note:

Le titre du billet provient de l'article suivant: Pinch, Trevor (Jun., 1992): "Review of Puritanism and the Rise of Modern Science: The Merton Thesis, by I. Bernard Cohen; K. Duffin; S. Strickland; R. K. Merton". Social Forces, Vol. 70, n°4, pp. 1132-1133. La citation est: "So what was all the fuss about? Why was Merton's work on the emergence of science in seventeenth-century Britain so inflammatory?" (p 1132).





Creative Commons License
"So what was all the fuss about?" by Mikolka est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.






No comments: