Chasse à l'épuisement (persistence hunting), par un Bochiman du désert du Kalahari:
Ce documentaire est une partie de The Life of Mammals (2002), un film réalisé par David Attenborough, et produit par la BBC et Discovery Channel.
Quand j'ai vu ce documentaire pour la première fois, certaines émotions et idées liées à la course à pied, qui étaient jusqu'alors assez confuses, sont devenues claires et pleines de significations. Je savais déjà que la chasse à l'épuisement existait, entre autres grâce à la lecture du livre de Christopher McDougall Born to run et du livre de Bernd Heinrich Why we run, mais le fait de le voir a changé quelque chose.
- Par exemple, je ne fais pas de tour autour d'une piste (un chien ne fait pas naturellement des tours de piste, s'il le faisait vous le prendriez pour un chien névropathe). Je ne vais pas juste courir ou jogger. J'ai besoin de me donner un but, imaginaire ou réel, et de me donner des obstacles à dépasser. Ce but n'est pas abstrait comme un temps, un rythme cardiaque, une distance, mais une action que je peux rapporter à la vie réelle: aller chercher quelque chose, quelqu'un, échapper à quelque chose ou quelqu'un, rattraper quelque chose...
- Je pense que mon lecteur a vu Avatar, de James Cameron. Vous souvenez-vous du moment où Jake Sully vole pour la première fois avec son ikran/banshee ? Il dit : "I was born to do this (J'étais né pour ça.)." C'est exactement ce que je ressens. Je me sens né pour le faire.
- D'un point de vue plus objectif, tout le monde peut observer qu'on est fait pour courir, que nous avons hérité de dispositions innées liées à la course à pied: des jambes longues, des genoux pour absorber les chocs, un talon pour stabiliser le mouvement, un coeur capable de changer de rythme en fonction de l'effort... Si nous avons toutes ces dispositions, c'est pour une bonne raison. C'est un outil de survie. Personne d'autre ne court comme nous courons, et c'est précisément ce qui nous donne un avantage dans certaines conditions.
- Cette vidéo m'a permis d'expliquer certains comportements quand je cours. Par exemple, j'aime être silencieux quand je cours, si silencieux que même un chien ne m'entend qu'au dernier moment, qu'au moment où je suis si proche de lui que je pourrais le prendre avec mes mains nues.
- Cela m'a permis aussi de rendre plus clair certaines expériences plus ou moins religieuses liées à la course. Dans la vidéo, le chasseur se met en transe pour atteindre l'esprit du koudou, se mettre à sa place, et retrouver sa trace. C'est typiquement une expérience religieuse de sortie de l'âme du corps.
- Cela m'a permis de comprendre aussi pourquoi je n'aime pas tout ce qui peut interférer avec mon attention quand je cours, comme la musique. Courir, c'est être en interaction avec son environnement. Les nerfs sensori-moteurs sous les pieds captent des informations sur la nature du terrain et les transmettent, en retour, le système nerveux central renvoie des commandes pour adapter le comportement du coureur. C'est une interaction un aller-retour incessant entre le sol et nous-mêmes, via nos pieds. Pourquoi voudrais-je interférer avec cette harmonie ?
- J'ai aussi compris la loi fondamentale de l'alimentation du coureur: il ne faut pas manger quelque chose avant de courir. Être à jeun est l'état naturel de notre corps, il sait le gérer (même si cette capacité se perd dans la société de surabondance qui est la nôtre). Un chasseur (quand son territoire n'est pas confisqué par des trafiquants ou des États non moins criminels) court non pas parce qu'il a un surplein de ressource énergétique à évacuer ou parce qu'il ne désire rien d'autre que les effets bénéfiques de la course à pied, mais pour manger quelque chose. Après avoir couru arrive le festin. Quand nous jeûnons, nous utilisons les lipides comme ressource énergétique. C'est ce pour quoi nous sommes faits. Se gaver de glucides avant un effort, c'est une erreur.
Qu'est-ce que la chasse à l'épuisement ?
La chasse à l'épuisement est une technique de chasse identifiée seulement chez les humains. Il s'agit de la manière la plus ancienne connue d'obtenir un gibier. Il semblerait que les hominidés la pratiquent depuis environ 2 millions d'années. Nous n'avons été qu'occasionnellement des charognards (occasionnellement parce que les autres charognards étaient avantagés par des dispositions de défense/attaque supérieures aux nôtres). Nous n'avons utilisé des armes que très tardivement (la lance est apparue il y a environ 400 000 ans et l'arc 30 000), et de toute façon, elles étaient au départ trop imprécises pour être utilisables en situation de chasse. C'est pourquoi nous avons pratiqué la chasse à l'épuisement.
Cette technique est une combinaison de course à pied et de traque. La traque servait d'une part à ne pas perdre de vue la proie, mais aussi à l'isoler du groupe auquel elle appartient. La course permettait évidemment de se rapprocher de la proie qui s'enfuyait, mais surtout de l'épuiser. C'est ce qui fait le coeur de la chasse à l'épuisement: on court jusqu'à ce que la bête meurt d'épuisement. Cette disposition est spécifiquement humaine. Si vous avez regardé la vidéo, vous avez remarqué que c'est un exploit à la fois physique et mental. La dimension physique est dans la poursuite, dans l'utilisation de ses mains libres pour transporter de l'eau et dans l'avantage résultat de notre système si particulier de thermorégulation: la transpiration. Mais il s'agit aussi d'un exploit mental : le chasseur brise la volonté de vivre de l'animal.
Il semblerait qu'actuellement, deux tribus pratiquent encore la chasse à l'épuisement : les Bochimans du Kalahari qui vivent dans la partie Sud de l'Afrique et les Raramuri (connus aussi sous le nom de Tarahumaras), qui vivent dans la partie Nord du Mexique. (Sur la photo, à gauche, l'ultramarathonien Scott Jurek, à côté du célèbre Raramuri Arnulfo Quimare.)
Il n'existe pas de manuel pour la chasse à l'épuisement et ce savoir est quasi inaccessible. Certains chercheurs et coureurs contemporains forcenés ont tenté d'en faire l'expérience en utilisant le peu de connaissances dont ils disposaient. Voici quelques témoignages : Fair Chase, Persistence hunting part one, part two, part three, part four par John Durant. Il y a aussi quelques descriptions dans le livre de Christopher McDougall, Born to Run, de Scott Carrier, Running after the antelope (une version audio de son expérience peut être écoutée ici) et dans le livre de Heinrich, Why we run (pp. 128-132).
Pourquoi réussisons-nous à épuiser un animal à un tel point qu'il en meurt ?
Notre premier avantage est la transpiration. La transpiration est la production d'un fluide composé en grande partie d'eau, de minéraux et d'urée. Ce fluide est exécré par des glandes situées sous la peau. Chez l'espèce humaine, la transpiration sert à réguler la température: au fur et à mesure que l'eau s'évapore, la peau est refroidie. Les autres espèces régulent leur température en utilisant les glandes qui se trouvent dans la bouche en halètant. L'eau qui se trouve dans la cavité orale s'évapore, ce qui entraîne une diminution de la température du corps. Nous pouvons chasser jusqu'à l'épuisement total d'un animal, parce qu'en courant, nous obligeons un animal à constamment augmenter sa température, tout en réduisant son temps de récupération. Au bout d'un certain, sa thermorégulation n'est plus à la hauteur de l'effort. Il meurt d'un coup de chaleur interne. Une remarque pour terminer sur ce point. Beaucoup de personnes ne sont pas à l'aise avec l'idée de la transpiration. Je voudrais leur dire qu'il n'y a pas de raison d'en avoir honte, précisément parce que c'est ce qui nous donne un avantage incomparable. Certaines études montrent en effet (c'est une hypothèse parmi d'autres) que la raison pour laquelle nous avons survécu au réchauffement de la planète il y a 50 000 ans et aux conditions difficiles de la vie sauvage, contrairement aux autres espèces humaines qui existaient alors (comme l'homo neandertalis), c'est notre système de régulation de la température interne. Dans une compétition de chasse à l'épuisement, un homo sapiens aurait une proie beaucoup plus rapidement que son concurrent l'homo neandertalis.
Notre deuxième avantage est la bipédie. Les quadrupèdes peuvent se déplacer plus rapidement que nous sur une distance courte. Mais nous avons l'avantage d'avoir des mains libres, ce qui nous permet de transporter des choses. Par exemple, nous pouvons transporter de l'eau, ce qui nous permet de ne pas nous déshydrater complètement. Les autres animaux se déshydratent et ne peuvent lutter contre cette tendance en situation de chasse. Nous pouvons en revanche la stopper.
Un autre avantage est le rythme de notre course à pied. Voir (Bramble & Lieberman 2004). Ils ont comparé la distance parcourue par seconde en fonction des types d'allures pour des animaux <500kg (chevaux), des humains, et des quadrupèdes >65kg. Les chevaux sont très rapides quand ils galopent. Ils peuvent couvrir jusqu'à 11m par seconde, alors que les humains ne dépassent pas 10m ps. Mais il s'agit de la condition du sprint. Le point important est que les chevaux ne peuvent pas galoper très longtemps. Et quand ils ne galopent plus, ils trottent. Quand ils trottent, les chevaux parcourent jusqu'à 6m par seconde. Nous ne pouvons pas sprinter aussi rapidement que les chevaux, mais en revanche nous joggons plus rapidement qu'ils ne trottent. Nous parcourons 7m ps en joggant. Et nous pouvons tenir ce rythme pendant des heures (voir le graphique). Vous avez compris la tactique: un cheval chassé est effrayé, il galope et s'éloigne des chasseurs, puis, à cause de la fatigue, il trotte. Pendant ce temps, les chasseurs humains, distancés par le galop, reviennent à la hauteur du cheval. À ce moment-là, il regalope. Il s'arrête et reprend le trot, les humains reviennent à sa hauteur. Et cette action se répète jusqu'à ce que le cheval s'effondre parce que son état ne lui permet plus de galoper. Un autre point important du papier de Bramble et Lieberman: nous sommes plus rapides en jogging que les quadrupèdes >65kg (ce qui signifie que les hominidés non entièrement bipèdes n'ont probablement pas pratiqué la chasse à l'épuisement).
Notre quatrième avantage est le fait que nous sommes une espèce socialement très développée. Réalisée seul, la chasse à l'épuisement est perdue d'avance. Comme l'écrit Scott Carrier, les animaux sont des proies professionnelles. Elles connaissent les règles du jeu. Elles vont lutter contre la volonté du chasseur de les isoler en allant au milieu du groupe pour ne plus pouvoir être reconnue, les emmener dans des environnements avec des obstacles, etc, pour que tous les efforts des chasseurs soient réduits à néant. C'est pourquoi un chasseur a besoin d'autres partenaires. Pour porter plus d'eau, pour répartir les tâches, pour soutenir le chasseur qui va accomplir la partie finale de la chasse (de 2 à 4 heures de course à pied, après tout la partie d'isolement).
Le cinquième avantage est notre système respiratoire (Bramble & Carrier 1983). Avez-vous déjà observé un chat ou un lapin courir ? D'abord, les pattes antérieures touchent le sol, puis les postérieures. Pendant ce temps, le dos de l'animal est rond. À ce moment-là, les viscères remontent vers le diaphragme qui appuie sur les poumons. Ce qui provoque un rejet de l'air, forçant l'animal à exhaler. Ensuite, l'animal s'allonge après la poussée des pattes postérieures. Là, les viscères sont étirées, elles reviennent vers le bassin et la pression contre le diaphragme cesse. Un appel d'air dans les poumons arrive, l'inhalation commence. Plus le mouvement des entrailles est rapide, plus l'animal peut respirer rapidement. (voir Heinrich 2001, p. 98, 99, 111-119; McDougall 2009, pp. 214sq). Le mouvement ressemble au glissement de l'eau dans une baignoire. McDougall caractérise ce mouvement par "take-a-step, take-a-breath (un pas, une respiration)". Eh bien, cela ne correspond pas du tout à notre manière de respirer. Notre système respiratoire est déconnecté de notre foulée, nous pouvons faire plusieurs pas en inhalant et plusieurs pas en exhalant. L'avantage des autres animaux est qu'ils font une économie d'énergie: un seul mouvement suffit pour faire un pas et respirer. Mais parce que leur thermorégulation est articulée à leur respiration et à leur foulée, paradoxalement, plus ils ont chaud, plus ils doivent aller vite pour se refroidir... jusqu'à ce qu'ils arrivent à leur limite. Ce système ne leur permet pas de courir très longtemps. Aussi atteignent-ils leur limite très rapidement. À 40°, un guépard cesse de courir. Sinon, il meurt. Pour nous, aussi longtemps que nous pouvons transpirer, nous pouvons respirer.
Chasse à l'épuisement et évolution de l'espèce humaineNotre premier avantage est la transpiration. La transpiration est la production d'un fluide composé en grande partie d'eau, de minéraux et d'urée. Ce fluide est exécré par des glandes situées sous la peau. Chez l'espèce humaine, la transpiration sert à réguler la température: au fur et à mesure que l'eau s'évapore, la peau est refroidie. Les autres espèces régulent leur température en utilisant les glandes qui se trouvent dans la bouche en halètant. L'eau qui se trouve dans la cavité orale s'évapore, ce qui entraîne une diminution de la température du corps. Nous pouvons chasser jusqu'à l'épuisement total d'un animal, parce qu'en courant, nous obligeons un animal à constamment augmenter sa température, tout en réduisant son temps de récupération. Au bout d'un certain, sa thermorégulation n'est plus à la hauteur de l'effort. Il meurt d'un coup de chaleur interne. Une remarque pour terminer sur ce point. Beaucoup de personnes ne sont pas à l'aise avec l'idée de la transpiration. Je voudrais leur dire qu'il n'y a pas de raison d'en avoir honte, précisément parce que c'est ce qui nous donne un avantage incomparable. Certaines études montrent en effet (c'est une hypothèse parmi d'autres) que la raison pour laquelle nous avons survécu au réchauffement de la planète il y a 50 000 ans et aux conditions difficiles de la vie sauvage, contrairement aux autres espèces humaines qui existaient alors (comme l'homo neandertalis), c'est notre système de régulation de la température interne. Dans une compétition de chasse à l'épuisement, un homo sapiens aurait une proie beaucoup plus rapidement que son concurrent l'homo neandertalis.
Notre deuxième avantage est la bipédie. Les quadrupèdes peuvent se déplacer plus rapidement que nous sur une distance courte. Mais nous avons l'avantage d'avoir des mains libres, ce qui nous permet de transporter des choses. Par exemple, nous pouvons transporter de l'eau, ce qui nous permet de ne pas nous déshydrater complètement. Les autres animaux se déshydratent et ne peuvent lutter contre cette tendance en situation de chasse. Nous pouvons en revanche la stopper.
Un autre avantage est le rythme de notre course à pied. Voir (Bramble & Lieberman 2004). Ils ont comparé la distance parcourue par seconde en fonction des types d'allures pour des animaux <500kg (chevaux), des humains, et des quadrupèdes >65kg. Les chevaux sont très rapides quand ils galopent. Ils peuvent couvrir jusqu'à 11m par seconde, alors que les humains ne dépassent pas 10m ps. Mais il s'agit de la condition du sprint. Le point important est que les chevaux ne peuvent pas galoper très longtemps. Et quand ils ne galopent plus, ils trottent. Quand ils trottent, les chevaux parcourent jusqu'à 6m par seconde. Nous ne pouvons pas sprinter aussi rapidement que les chevaux, mais en revanche nous joggons plus rapidement qu'ils ne trottent. Nous parcourons 7m ps en joggant. Et nous pouvons tenir ce rythme pendant des heures (voir le graphique). Vous avez compris la tactique: un cheval chassé est effrayé, il galope et s'éloigne des chasseurs, puis, à cause de la fatigue, il trotte. Pendant ce temps, les chasseurs humains, distancés par le galop, reviennent à la hauteur du cheval. À ce moment-là, il regalope. Il s'arrête et reprend le trot, les humains reviennent à sa hauteur. Et cette action se répète jusqu'à ce que le cheval s'effondre parce que son état ne lui permet plus de galoper. Un autre point important du papier de Bramble et Lieberman: nous sommes plus rapides en jogging que les quadrupèdes >65kg (ce qui signifie que les hominidés non entièrement bipèdes n'ont probablement pas pratiqué la chasse à l'épuisement).
Notre quatrième avantage est le fait que nous sommes une espèce socialement très développée. Réalisée seul, la chasse à l'épuisement est perdue d'avance. Comme l'écrit Scott Carrier, les animaux sont des proies professionnelles. Elles connaissent les règles du jeu. Elles vont lutter contre la volonté du chasseur de les isoler en allant au milieu du groupe pour ne plus pouvoir être reconnue, les emmener dans des environnements avec des obstacles, etc, pour que tous les efforts des chasseurs soient réduits à néant. C'est pourquoi un chasseur a besoin d'autres partenaires. Pour porter plus d'eau, pour répartir les tâches, pour soutenir le chasseur qui va accomplir la partie finale de la chasse (de 2 à 4 heures de course à pied, après tout la partie d'isolement).
Le cinquième avantage est notre système respiratoire (Bramble & Carrier 1983). Avez-vous déjà observé un chat ou un lapin courir ? D'abord, les pattes antérieures touchent le sol, puis les postérieures. Pendant ce temps, le dos de l'animal est rond. À ce moment-là, les viscères remontent vers le diaphragme qui appuie sur les poumons. Ce qui provoque un rejet de l'air, forçant l'animal à exhaler. Ensuite, l'animal s'allonge après la poussée des pattes postérieures. Là, les viscères sont étirées, elles reviennent vers le bassin et la pression contre le diaphragme cesse. Un appel d'air dans les poumons arrive, l'inhalation commence. Plus le mouvement des entrailles est rapide, plus l'animal peut respirer rapidement. (voir Heinrich 2001, p. 98, 99, 111-119; McDougall 2009, pp. 214sq). Le mouvement ressemble au glissement de l'eau dans une baignoire. McDougall caractérise ce mouvement par "take-a-step, take-a-breath (un pas, une respiration)". Eh bien, cela ne correspond pas du tout à notre manière de respirer. Notre système respiratoire est déconnecté de notre foulée, nous pouvons faire plusieurs pas en inhalant et plusieurs pas en exhalant. L'avantage des autres animaux est qu'ils font une économie d'énergie: un seul mouvement suffit pour faire un pas et respirer. Mais parce que leur thermorégulation est articulée à leur respiration et à leur foulée, paradoxalement, plus ils ont chaud, plus ils doivent aller vite pour se refroidir... jusqu'à ce qu'ils arrivent à leur limite. Ce système ne leur permet pas de courir très longtemps. Aussi atteignent-ils leur limite très rapidement. À 40°, un guépard cesse de courir. Sinon, il meurt. Pour nous, aussi longtemps que nous pouvons transpirer, nous pouvons respirer.
L'hypothèse de la course d'endurance et la chasse à l'épuisement
L'hypothèse de la course d'endurance soutient que certains traits identifiables chez les membres de l'espèce humaine peuvent être expliqués comme étant des adaptations pour la course sur longue distance. Sur l'article Endurance running hypothesis de Wikipedia, on trouve les aspects suivants :
- Grande abondance de glandes servant à la transpiration, et fonction thermorégulatrice de la transpiration.
- Des doigts de pied courts (les longs sont plus appropriés pour la marche) (voir Campbell et al 2008).
- Des muscles glutéaux très développés.
- La tendance des humains à participer à des événements running de longue distance comme les marathons et les ultramarathons.
- Capacité à stocker les lipides (et à les utiliser comme ressource énergétique).
- Difficultés à faire face à un régime de vie sédentaire (obésité, pathologies liées au diabète).
Je n'ai pas inclus la dernière car elle n'est vraiment pas claire (capacité à respirer par la bouche pendant la course? Qu'est-ce que l'auteur de l'article veut dire ?). Peut-être que les auteurs ont voulu dire que les homines sapientes ont une disposition aérobique (capacité à utiliser l'oxygène pour générer de l'énergie pendant un effort long) en plus de leur disposition anaérobique (capacité à utiliser des ressources énergétiques via une fermentation des saccharides -les sucres-, sans oxygène, pour un effort court). Il faut aussi ajouter (Bramble & Lieberman 2004):
- Le ligament nuchal. Sa fonction consiste à stabiliser la tête quand un animal court. Les espèces animales qui courent (chevaux, chiens) ont ce ligament. Les espèces qui marchent, comme les chimpanzés, n'en ont pas. C'est un trait distinctif des espèces qui courent.
L'avantage en matière grise de la chasse à l'épuisement
Si vous vous êtes intéressé à l'évolution de la tête des humains, vous savez que sa taille a augmenté soudainement il y a
environ 2 millions d'années. Cette implique deux choses: i) puisque le
cerveau est un élément du corps extrêmement coûteux en énergie, alors
cela signifie que les humains doivent avoir à disposition une ressource
énergétique importante ; ii) certaines parties du cerveau sont peut-être
plus développées (ce qui a peut-être pour conséquence une
redistribution ou réorganisation des fonctions et de la structure) chez
l'individu dont la taille du cerveau a augmenté par rapport aux parties
du cerveau des individus de l'espèce dont ils dérivent et dont la taille
du cerveau est inférieure.
Il y a 2 millions d'années les hominidés appartenaient à l'australopithecus genus (qui est apparu 3 millions d'années plus tôt, c'est-à-dire il y a 5 millions d'années). Parmi les traits distinctifs de ce genre on trouve les traits suivants : puissantes et grandes mâchoires, taille du cerveau assez petite, intestins très longs. Pourquoi ? Pour digérer des plantes particulièrement fibreuses, qui lui fournissaient la ressource énergétique dont il avait besoin. Mais il y a 2 millions d'années, c'est le moment de la transition entre l'australopithecus genus et l'homo genus, via homo ergaster et homo erectus, les premiers hommes parmi les hominidés. Qu'est-ce qui les différencie ? Un cerveau plus gros, des intestins plus courts, des mâchoires assez petites avec des dents pour déchirer, une position debout. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient trouvé une nouvelle ressource énergétique. Laquelle ? La viande fraîche. Elle est plus facile à digérer que les plantes (qui n'ont strictement rien à voir avec les variétés domestiquées que nous trouvons dans nos assiettes), et contient plus, par unité comparable, de ressource énergétique qu'une plante. Comment avons-nous obtenu cette viande fraîche ? Par la chasse à l'épuisement.
Avec la chasse à l'épuisement les premiers hommes possédaient une ressource énergétique plus compacte pour combler les grands besoins du cerveau. (Liebenberg 1990), dans un geste audacieux, lie le sort de la chasse à l'épuisement à l'évolution de la culture moderne (art et science), mais puisque je n'ai pas lu ce livre, je ne vais pas m'aventurer dans ses hypothèses et ses conclusions. Remarquez tout de même que des études (Brower 2006; Leakey 1992, pp. 257-258) montrent que, contrairement aux membres de l'australopithecus genus, homo erectus et ses descendants les plus directs possèdent l'aire de Broca (région du cerveau requise pour la disposition du langage), et qu'une autre montre que les homines erectes furent les premiers à vivre en petite tribu d'une manière semblable aux chasseurs-cueilleurs modernes.
Bibliographie
Bramble, Dennis M., and Carrier, David R. (1983). Running and Breathing in Mammals. Science 219: 251-256.
Bramble, Dennis M. & Lieberman, Daniel E. (2004). Endurance running and the evolution of Homo. Nature, 432: 345-353.
Boehm, Christopher (1999). Hierarchy in the forest: the evolution of egalitarian behavior. Cambridge Mass.: Harvard University Press.
Bower, Bruce (2006). "Evolutionary Back Story: Thoroughly Modern Spine Supported Human Ancestor". Science News Online 169 (15): 275.
Campbell, Rolian, Lieberman, Daniel E., Hamill, Joseph, Scott, John W., Werbel, William (2009) Walking, running and the evolution of short toes in humans. The Journal of experimental biology, 212, 713-721.
Carrier, David, R.(1984). The energetic paradox of human running and hominid evolution. Current Anthropology, 25:4.
Carrier, Scott (2001). Running after Antelope. Counterpoint Press.
Heinrich, Bernd (2002). Why we run. A Natural History. New York: HarperCollins Publishers.
Leakey, Richard (1992). Origins Reconsidered. New York: Anchor.
Liebenberg, Louis 1990. The Art of Tracking: The Origin of Science. David Philip.
Liebenberg, Louis (2006). Persistence Hunting by Modern Hunter-Gatherers. Current Anthropology, 47:6.
Liebenberg, Louis (2008). The relevance of persistence hunting to human evolution. Journal of Human Evolution, 55: 1156-1159.
McDougall, Christopher (2009). Born to Run: A Hidden Tribe, Superathletes, and
the Greatest Race the World Has Never Seen. New York: Knopf.
2 comments:
Petites remarques générales :
- Le nom latin d'une espèce se donne bien en italique, mais avec une majuscule au nom de genre mais pas au nom d'espèce, par exemple : _Homo sapiens_.
- L'homme de Neanderthal s'appelle _Homo neanderthalensis_ (terminaison latine correspondant à un lieu d'origine).
- australopithecus genus n'existe pas : c'est une mauvaise traduction de l'anglais. "genus" veut dire "genre". "Australopithecus genus" : l'australopithèque, ou le genre _Australopithecus_
Pour le reste, j'ai trouvé cet article très intéressant. avez vous des références pour les différences supposées de régulation thermique entre l'homme de Neanderthal et l'homme moderne ?
Merci. Ces différences sont esquissées dans Born to run et l'auteur renvoie à des études sérieuses (peut-être menées par David Carrier ?).
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