Friday 7 November 2008

Éthique évolutionniste: Christien Clavien

Jeudi 30/10/2008 eut lieu à l'Université Lyon 3 une conférence faite par Christine Clavien, en post-doc à l'Université de Lausanne, dans le cadre du séminaire des doctorants en Philosophie organisé par Denis Forest.

Christine Clavien a fait une excellente présentation de l'éthique évolutionniste. Vous trouverez ici les notes que j'ai prises pendant la conférence. Je vous invite aussi à consulter sa page personnelle et la page consacrée à ses travaux en libre accès.

Ceci est la version française de: Christine Clavien on Evolutionary Ethics.

1) Darwinisme social

a- Les thèses principales :

*L’évolution va en direction de la sélection des êtres les meilleurs : la survie des êtres les plus adaptés est considéré comme un facteur d’amélioration de la race, car les plus faibles sont éliminés. (Thèse de l’eugénisme.)

*L’espèce humaine est divisée en races. (Thèse du polygénisme.)

*Les caractères biologiques sont plus déterminants que l’environnement. (Thèse de l’héréditarianisme, chez Galton, hérité de Lamarck.)

*Le rapport entre les individus est fondamentalement le conflit. (Thèse du Struggle for life.)

b- Les applications socio-politiques :

*Le « laissez-faire » : il s’agit principalement d’une politique anti « État-providence » (reposant sur les principes de charité et de solidarité, l’E-P permet aux plus faibles de se reproduire).

*L’interventionnisme : de la politique eugéniste (favoriser le développement des meilleurs et empêcher la reproduction des plus faibles) à la politique de destruction des individus (ou des races) considérés comme les plus faibles.
Le darwinisme ne correspond donc pas à une doctrine politique déterminée.

*L’impérialisme : justification des colonisations.


2) Problèmes du darwinisme social

*L’évolution ne sélectionne pas les meilleurs de manière absolue, mais les plus adaptés à un environnement (en fonction de la « fitness »). « La sélection ne peut produire la perfection, car dans la compétition pour le succès reproductif entre les membres d’une population, il suffit d’être supérieur, il n’est pas nécessaire d’être parfait. » (Mayr, 1989).

*La thèse polygéniste est fausse et la différenciation des races en fonction de critère situé au niveau individuel (couleur de peau, forme du visage) est insuffisante pour caractériser une race. Ce sont des caractères mineurs au point de vue de l’organisation et du fonctionnement des organismes humains.

*Le biologique n’est pas un déterminisme. « The animal that results is not the most perfect design conceivable, nor is it merely good enough to scrape by. It is the product of a historical sequence of changes, each one of which represented, at best, the better of the alternatives that happened to be around at the time.” (Dawkins, 1999: 46). Exemple : les pandas s’aident pour manger le bambou d’un os qui s’est développé à l’emplacement du pouce. Mais ils sont assez gauches. Un vrai pouce articulé eût été sans aucun doute beaucoup plus pratique.

*Même dans un milieu hostile, les animaux n’ont pas nécessairement des rapports conflictuels : les manchots empereurs, en cas de grands froids, se mettent en formation « tortue », en groupe très compact, pour limiter les contacts avec l’air froid ; et, afin que les manchots à l’extérieur du groupe ne succombent pas, une rotation se met en place, entre les individus qui sont à la périphérie et les individus qui sont au centre.


3) Éthique évolutionniste

a- Une méthode :

*L’éthique évolutionniste n’est pas le darwinisme social. Elle ne tire aucune conclusions socio-politiques de ses thèses. Alors que le darwinisme social vise généralement à justifier des thèses et des pratiques socio-politiques, l’éthique évolutionniste est entièrement théorique.

*L’éthique évolutionniste n’est pas un ensemble systématique de thèse, mais une méthode appliquée au champ de la philosophie morale. Elle n’est donc pas une option théorique différente de celles qui se trouvent dans le champ de la philosophie morale.

*Avec l’aide d’autres disciplines (biologie, psychologie du développement, théorie des jeux…), l’éthique évolutionniste essaie de comprendre le rôle de l’évolution dans les comportements moraux et les croyances morales.


b- Les 4 domaines de l’éthique et l’éthique évolutionniste :

On peut distinguer 4 domaines en éthique : métaéthique, éthique appliquée, éthique descriptive et éthique normative.

*Métaéthique : branche de l’éthique qui s’interroge sur la nature ontologique des objets moraux. L’éthique évolutionniste ne semble pas avoir des apports décisifs de ce point de vue, car les éthiciens évolutionnistes défendent toutes les positions du spectre éthique.

*Éthique appliquée : branche de l’éthique qui traite de l’application des normes morales. A cause des dérives du darwinisme social, les éthiciens s’abstiennent de se prononcer sur ce point.

*Éthique descriptive : branche de l’éthique qui s’interroge sur la genèse des comportements et des croyances morales. L’approche évolutionnaire postule que la morale est le résultat d’un processus naturel d’évolution. C’est le point fort de l’éthique évolutionniste : elle arrive à des explications satisfaisantes de certains comportements moraux, notamment l’altruisme.

Exemple : la reproduction des abeilles kamikazes (Hamilton (William), « The Genetical Evolution of Social Behaviour (I and II) », Journal of Theoretical Biology, 7, pp.1-52). On sait que, dans un essaim d’abeilles, la plupart est stérile. Le comportement des abeilles kamikazes s’explique directement : elles sont dévouées à la communauté. Le problème qui se pose est le suivant : comment la propriété d’être stérile chez les abeilles kamikazes a-t-elle pu être sélectionnée au lieu de contribuer à l’extinction de ces abeilles ? En fait, puisque les abeilles n’ont, techniquement parlant, qu’un seul et même ensemble de chromosomes (elles ont la même mère et n’ont pas de père), elles ont un patrimoine commun extrêmement élevé avec leurs consoeurs. C’est pourquoi il est plus intéressant pour les abeilles de protéger leurs consoeurs plutôt que de chercher à se conserver. En se sacrifiant, elles perdent leur matériel génétique, mais elles sauvent celui de leurs consoeurs. Ce phénomène de sélection par parentèle peut s’appliquer aux hommes : des gènes qui induisent des comportements altruistes peuvent être sélectionnés par l’évolution, car ils sont intéressants, surtout quand ils sont réciproques (notamment dans le cadre de l’amour parental).

Mais comme l’a souligné Christine Clavien dans son exposé, le fait de pouvoir expliquer la réciprocité, l’altruisme et quelques autres comportements moraux n’est pas suffisant. On ne peut pas dire qu’à ce jour l’éthique évolutionniste explique l’ensemble de la moralité.

Selon C Clavien, il y a deux grands mouvements d’explication de l’origine de la morale :
1) La moralité est un avantage sélectif, elle répond à un besoin qui est apparu au cours de l’évolution humaine, notamment dans le cadre de la vie en communauté. Cette position est soutenue par Richards (Richards 1986, « A defense of evolutionary ethics », Biology and Philosophy, 1 (1986), pp. 265-293)

2) La moralité est un effet dérivé d’une ou de plusieurs autres adaptations. Plusieurs caractères ont évolué de manière indépendante, mais on conduit, par association, à la morale. Cette position est défendue par Stitch, Rottschaeffer, Prinz.

*Éthique normative : branche de l’éthique qui traite de la justification des jugements moraux. L’éthique évolutionniste ne permet pas de résoudre les problèmes de l’éthique normative de manière définitive, à cause du passage douteux du factuel au normatif.

1) Réduction du ought to be au descriptif. Moore a bien mis en évidence qu’il est fallacieux de définir le bien moral (le bien) en termes descriptifs (le plaisant, le désirable…), car ils n’appartiennent pas à la même catégorie.

2) Réduction du factuel au normatif. Hume a remarqué que les auteurs de philosophie morale ont tendance à passer de remarques factuelles à des conclusions normatives sans justification. Des prémisses factuelles ne peuvent pas conduire à une conclusion normative.

Cette difficulté a tout de même un avantage. Elle permet de réduire les ambitions et dénoncer les illusions de l’éthique normative : elle ne peut pas fonder de manière absolue les normes, elle doit renoncer à chercher des fondements ultimes, elle doit chercher les meilleures raisons justifiantes possibles. Et selon C Clavien, l’éthique évolutionniste peut l’aider à les formuler.


4) Éthique évolutionniste et quête du fondement de la morale

Pour soutenir leur position, les philosophes s’appuient souvent sur l’idée que les éléments de base postulés sont évidents ou relèvent du sens commun.

Mais un nombre croissant de données empiriques sur la psychologie morale humaine contredit l’existence d’intuitions morales partagées. Ces données sont fournies par la « trolleybusologie » (Appiah, 2008) :

*1ère expérience : vous êtes le témoin de la scène qui va suivre. Un trolleybus dont les freins ne fonctionnent plus se dirige à une vitesse effrénée sur la voie que cinq randonneurs sont en train de traverser. À côté de vous se trouve un aiguillage, avec une manette, qui permet de changer la trajectoire du trolleybus. En appuyant sur la manette, on peut changer la trajectoire du trolleybus. Mais, ce faisant, le trolleybus se dirigera sur une autre voie sur laquelle un cheminot en train de faire des réparations, qui sera à coup sûr écrasé par le cheminot. Choisissez-vous de tirer la manette ?

*2nde expérience : le même trolleybus avance en direction des randonneurs. Cette fois-ci, vous êtes à côté d’un gros homme, sur une passerelle qui surplombe la voie. Si on pousse l’homme sur la voie, il arrêtera le trolleybus, sauvant ainsi la vie des cinq randonneurs. Choisissez-vous de pousser le gros homme ?

Le sens commun conduit à des jugements contradictoires, car une majorité des sujets interrogés choisissent de sacrifier l’homme seul, mais une majorité refuse de pousser le gros homme sur la voie.

Greene et ses collègues (2001), lors des expériences sur le trolleybus, ont scanné, à l’aide de la technique d’imagerie cérébrale, les cerveaux des sujets interrogés. Les résultats de l’expérience montrent que l’engagement émotionnel influence les jugements moraux : pousser un homme provoque des réactions émotionnelles plus fortes que le simple fait d’appuyer sur les boutons d’une manette.

Les théoriciens de l’évolution peuvent expliquer ce type de phénomène. À l’époque où les instincts sociaux se sont formés, les êtres humains vivaient en petites communautés, dans lesquelles il était important d’aider les membres de ce groupe, les personnes proches. Il est donc très probable que des mécanismes émotionnels altruistes se soient mis en place en faveur des individus qu’on côtoie. En fonction de cette explication, il est compréhensible que nous ayons des difficultés à accepter de pousser un individu sur une voie.

Une telle explication oblige à renoncer au fondement sur le sens commun, mais surtout à reconnaître que les critères pertinents en moral dépendent du mode de vie de l’espèce.

Je remercie Christine Clavien pour son excellent exposé, pour sa gentillesse et pour m'avoir autorisé à publier mon résumé de sa conférence.


Bibliographie
-Appiah, A. 2008. Experiments in Ethics. Mary Flexner Lectures. Cambridge, Mass.: Harvard University Press.
-Arnhart, L. 1998. Darwinian Natural Right : The Biological Ethics of Human Nature. Suny Series in Philosophy and Biology. Albany, NY: State University of New York Press.
-Boehm, C. 2002 (2000). Conflict and the Evolution of Social Control. Katz, L.D. (eds.), Evolutionary Origins of Morality : Cross-Disciplinary Perspectives (pp. 79-101). Thorverton: Imprint Academic.
1997. Impact of the Human Egalitarian Syndrome on Darwinian Selection Mechanics. The American Naturalist, 150 pp.100-21.
-Clark, L.L. 1981. Social Darwinism in France. The Journal of Modern History, 53 pp.D1025-D44.
-Darwin, C.R. 1871. La Descendance De L'homme Et La Sélection Sexuelle, translated by Barbier, E. Paris: C. Reinwald.
-Dawkins, R. 1999. The Extended Phenotype : The Long Reach of the Gene. Rev. ed. Oxford ; New York: Oxford University Press.
-Galton, F. 1869. Hereditary Genius : An Inquiry into Its Laws and Consequences. London: Macmillan.
-Greene, J.D., Sommerville, R.B., Nystrom, L.E., Darley, J.M., and Cohen, J.D. 2001. An Fmri Investigation of Emotional Engagement in Moral Judgment. Science, 293 pp.2105-08.
-Hamilton, W.D. 1964. The Genetical Evolution of Social Behaviour. I & Ii. Journal of Theoretical Biology, 7 pp.1-52.
-Hume, D. 1991. Traité De La Nature Humaine. Paris: GF-Flammarion.
-Mayr, E. 1989 (1982). Histoire De La Biologie : Diversité, Évolution Et Hérédité, translated by Blanc, M. Paris: A. Fayard.
-Moore, G.E. 1998 (1903). Principia Ethica, translated by Gouverneur, M. and Ogien, R. Paris: Presses universitaires de France.
-Pearson, K. 1912. Darwinism, Medical Progress and Eugenics : The Cavendish Lecture, 1912 : An Address to the Medical Profession. London: Dulau.
-Prinz, J.J. 2009. Against Moral Nativism. Murphy, D. and Bishop, M. (eds.), Stich and His Critics (pp. 381-96). Oxford: Wiley-Blackwell
-Richards, R.J. 1987. Darwin and the Emergence of Evolutionary Theories of Mind and Behavior. Science and Its Conceptual Foundations. Chicago: University of Chicago Press.
1986. A Defense of Evolutionary Ethics. Biology and Philosophy, 1 pp.265-93.
-Roberts, S. 1979. Order and Dispute : An Introduction to Legal Anthropology. Harmondsworth: Penguin Books.
-Rottschaefer, W.A., and Martinsen, D. 1990. Really Taking Darwin Seriously: An Alternative to Michael Ruse's Darwinian Metaethics. Biology and Philosophy, 5 pp.149-73.
-Ruse, M. 2002. A Darwinian Naturalists Perspective on Altruism. Post, S.G. (eds.), Altruism and Altruistic Love : Science, Philosophy and Religion in Dialogue (pp. 151-67). Oxford: Oxford Univ. Press.
1984. The Morality of the Gene in Sociobiology and Philosophy. Monist, 67 pp.176-99.
-Spencer, H. 1879. The Data of Ethics. London ; Edinburgh: Williams and Norgate.
1864. The Principles of Biology. London [etc.]: William and Norgate.
-Sripada, C., and Stich, S.P. 2006. A Framework for the Psychology of Norms. Carruthers, P., Laurence, S. and Stich, S.P. (eds.), The Innate Mind: Culture and Cognition (pp. 280-301). Oxford ; New York: Oxford University Press.
-Trivers, R.L. 1971. The Evolution of Reciprocal Altruism. The Quarterly Review of Biology, 46 pp.35-57.
-Williams, G.D. 1993. Mother Nature Is a Wicked Old Witch. Nitecki, M.H. and Nitecki, D.V. (eds.), Evolutionary Ethics (pp. 217-31). Albany: State University of New York Press.
-Wilson, D.S. 1975. A Theory of Group Selection. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 72 pp.143-46.
-Wright, R. 1995 (1994). L'animal Moral : Psychologie Évolutionniste Et Vie Quotidienne, translated by Béraud-Butcher, A. Paris: Michalon.
-Wright, S. 1932. ''the Role of Mutation, Inbreeding, Crossbreeding and Selection in Evolution. (eds.), Proceedings of the 6th International Congress of Genetics (pp. 356-68).

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Éthique évolutionniste: Christine Clavien by Mikolka/Christine Clavien est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.




5 comments:

Anonymous said...

QUOTE : "Mais un nombre croissant de données empiriques sur la psychologie morale humaine contredit l’existence d’intuitions morales partagées. Ces données sont fournies par la « trolleybusologie » (Appiah, 2008)" END-QUOTE

Je m'inscris complètement en faux. Il me semble au contraire que la "trolleybusologie" intéresse aujourd'hui de nombreux chercheurs parce que justement le contraste entre les deux cas cités (appelés respectivement "Trolley" et "Footbridge") est un contraste que l'on retrouve universellement. Hauser et son équipe ont fait passé des questionnaires sur ces scénarios à des individus de cultures très différentes, et l'asymétrie persiste, où que l'on aille. Certains psychologues (comme les tenants de la "Grammaire Morale Universelle" pense justement qu'il s'agit là d'une clé pour découvrir les structures universelles de notre compétence morale.

Anonymous said...

QUOTE "Les théoriciens de l’évolution peuvent expliquer ce type de phénomène. À l’époque où les instincts sociaux se sont formés, les êtres humains vivaient en petites communautés, dans lesquelles il était important d’aider les membres de ce groupe, les personnes proches. Il est donc très probable que des mécanismes émotionnels altruistes se soient mis en place en faveur des individus qu’on côtoie. En fonction de cette explication, il est compréhensible que nous ayons des difficultés à accepter de pousser un individu sur une voie." END-QUOTE

J'ajoute que ce n'est pas la seule explication avancée par les psychologues évolutionnistes. Une autre est de considérer que nous faisons tous la différence entre tuer comme "side-effect" (cas 1) et tuer comme moyen (cas 2).

Mikolka said...

Cher Florian,

Merci pour vos commentaires.

1) J'ignorais que l'on avait remarqué une persistance "universelle" de l'asymétrie. Et j'ignorais que les psychologues évolutionnistes avaient d'autres explications.

2) Votre première objection, je crois, ne contredit pas vraiment la thèse de C Clavien. Très simplement parce que le fait que nous ayons à notre disposition une compétence morale (comme chez Chomsky, une compétence linguistique), d'une part, n'implique pas que nous soyons déterminé à l'exercer, d'autre part, n'implique pas de manifestation spécifique de cette compétence.
Replacé dans le contexte de l'argumentation de CC, cela signifie que bien que nous ayons sans aucun doute une compétence morale, assez largement partagée, on ne peut pas s'appuyer sur elle pour fonder la morale. Pourquoi? Très simplement parce que cette compétence morale ne nous conduit pas plus vers une intuition morale qu'une autre (en dépit du fait qu'elle se présente comme une condition des possibilités morales). Il peut y avoir une compétence morale partagée, mais pas un produit spécifique, universellement partagé, de cette compétence.

3) Je ne suis pas vraiment étonné d'apprendre que la psychologie évolutionnniste, comme tous les champs du savoir, est un objet de débat interne.
Cela pose en effet, comme vous le soulignez, un problème méthodologique important: quand un champ scientifique s'appuie sur un grand nombre d'autres champs (éthique évolutionniste: biologie humaine, biologie animale, théorie de l'évolution, psychologie évolutionnaire, psychologie expérimentale, philosophie morale), qu'est-ce que signifie "s'appuyer"? Ou jusqu'à quel point doit-il reprendre et s'approprier les connaissances (y compris les conflits dans les argumentations) de ces autres champs?
C'est un aspect sur lequel j'aurais aimé que Christine Clavien s'exprime.

Amicalement

Anonymous said...

QUOTE : "Replacé dans le contexte de l'argumentation de CC, cela signifie que bien que nous ayons sans aucun doute une compétence morale, assez largement partagée, on ne peut pas s'appuyer sur elle pour fonder la morale. Pourquoi? Très simplement parce que cette compétence morale ne nous conduit pas plus vers une intuition morale qu'une autre (en dépit du fait qu'elle se présente comme une condition des possibilités morales). Il peut y avoir une compétence morale partagée, mais pas un produit spécifique, universellement partagé, de cette compétence." END-QUOTE

D'accord pour dire qu'il est impossible de fonder la morale sur l'éthique évolutionniste descriptive (que j'abrège EE par la suite) : du "is" au "ought", la conséquence n'est pas bonne, blablabla. Mais même si nous étions déterminés à avoir tous les mêmes intuitions, la conséquence ne serait pas bonne. Enfin, dire que "cette compétence morale ne nous conduit pas plus vers une intuition morale qu'une autre" me semble être un contresens : la plupart de ceux qui travaillent en éthique évolutionniste pensent que nous sommes biaisés (c'est-à-dire déterminés de façon probabilistes) vers certains types d'intuitions. La "compétence morale" étudiée par les évolutionnistes n'est pas une feuille vierge - c'est pour cela qu'il ne faut pas pousser trop loin l'analogie avec la compétence permettant d'apprendre un langage (quoique, dans un cadre Chomskyen, la faculté linguistique biaise aussi les langues vers certaines formes, d'où les multiples universaux linguistiques).

Pour le petit 3, je pense que la meilleure façon de définir l'EE, c'est de la considérer comme un programme de recherche avec un but (expliquer la moralité) et des présupposés qui fixent en fait les contraintes suivant lesquelles le but doit être atteint (l'explication doit procéder de manière darwinienne et présupposer un continuum entre l'homme et les autres animaux). En recherche, ce qui compte, à mon avis, c'est le découpage en programmes de recherches. Le découpage en "matières" (biologie humaine, biologie animale, théorie de l'évolution, psychologie évolutionnaire, psychologie expérimentale, philosophie morale) reflète plus un découpage institutionnel (à mon avis, je précise). Du coup, l'éthique évolutionniste ne paraît être un "super-champ" interdisciplinaire qu'à cause du découpage des cursus et des études (l'illusion disparaîtrait peut-être s'il existait des cursus d'EE). Du coup, le chercher en EE n'est pas, comme on pourrait le croire, dans une sorte de position de surplomb d'où il va chercher de temps à autres dans des domaines extérieurs les informations qui l'intéresse : il doit maîtriser ces domaines et les débats qui y ont lieu aussi bien qu'un chercheur en biologie végétale connait la biologie végétale. Cela signifie-t-il qu'il a une sorte de "super-connaissance". Non ! De même que le chercheur en biologie végétale qui s'intéresse au cycle de X chez Y a une connaissance générale de la biologie végétale mais surtout une connaissance précise de X et Y (via la lecture d'articles que personne d'autres ne lie), de même, le chercheur en EE a une connaissance générale des problèmes liés à l'EE et une connaissance plus précise de tel ou tel aspect (son sujet de recherche, un sous-domaine de recherche). Donc je dirais qu'ils s'appuie sur ses connaissances de la même façon que n'importe quel chercheur, et pas comme s'il s'agissait vraiment là de quelque chose d'extérieur à son domaine de compétence (mmmhhhh, je sais pas si j'ai été clair, là ?)

Mikolka said...

Je ne sais pas non plus jusqu’à quel point on peut pousser le rapprochement avec la théorie chomskyenne du langage. Mais il me semble que nous sommes d’accord sur le fait que la compétence morale conduit vers certaines intuitions. C’était un aspect accessoire dans mon argumentation, je n’ai donc pas insisté dessus. Cet aspect était impliqué dans l’expression « condition des possibilités morales ».

Pour 3), vous pensez que je me pose la question parce que je suis conditionné par une manière institutionnelle de penser. Pourquoi pas ?
La définition en termes de programme de recherche est intéressante, mais, à mon avis, elle ne manquera pas de susciter des discussions interminables. Je suis certain que des chercheurs en EE diront que son but n’est pas descriptif, mais normatif, par exemple, ou que d’autres diront que la continuité entre les autres animaux et les humains n’est pas suffisante (tous ceux qui pensent que la moralité n’est pas réductible à la réciprocité, à l’altruisme et quelques autres comportements moraux observés dans le monde animal).
Mais pour revenir à ma question principale, elle ne portait pas vraiment sur la connaissance (ce que doit connaître le chercheur des recherches impliqués par son travail), mais sur les attitudes méthodologiques du chercheur. Jusqu’à quel point un chercheur doit-il accorder du crédit à des thèses faisant l’objet d’un débat dans ces disciplines connexes dont il dépend ?