Wednesday 21 January 2009

La philosophie comme "armchair psychology"

Voici une première version de l'article que je compte envoyer avant la fin du moins à la toute nouvelle REPHA (Revue Etudiante de Philosophie Analytique). Je le publie ici en avant-première.

N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires.

Merci !

Introduction

Depuis quelques années, la méthodologie philosophique a été renouvelée par le mouvement qui s’est fait connaître sous le nom de « Philosophie Expérimentale » (Experimental Philosophy). L’idée directrice de ce mouvement est que l’utilisation de méthodes expérimentales en provenance directe de la psychologie expérimentale (questionnaires, mesures de temps de réaction ou encore techniques d’imagerie cérébrale) peut contribuer dans une certaine mesure au débat philosophique[1]. Par exemple, de nombreux arguments philosophiques consistent à s’appuyer sur les opinions communes. Ainsi, dans la querelle entre compatibilistes et incompatibilistes, les incompatibilistes s’appuient sur le « sens commun » et affirme que la plupart des gens sont incompatibilistes, ce qui ferait du compatibilisme une thèse « paradoxale », au sens étymologique du terme. Un nombre grandissant de travaux expérimentaux a pourtant mis en doute cette « évidence », montrant que le sens commun n’est pas clairement incompatibiliste (ni compatibiliste, semble-t-il)[2][3]. Autre exemple : le débat entre cognitivistes et non-cognitivistes moraux. Les cognitivistes moraux défendent la thèse selon laquelle toute proposition morale présuppose l’existence de faits moraux objectifs (et serait donc fausse au cas où de tels faits n’existerait pas). Les anti-cognitivistes défendent au contraire l’idée selon laquelle certaines (sinon toutes les) propositions morales pourraient être formulées sans pourtant avoir de prétention à l’objectivité. Des données expérimentales récentes semblent pouvoir faire pencher la balance du côté des non-cognitivistes en montrant que les gens sont tout à fait prêts à utiliser le prédicat « mal » sans pour autant dénoter une propriété qu’ils pensent être objective[4][5].

Le point principal à retenir est que, selon les philosophes expérimentaux, des méthodes issues de la psychologie peuvent être fécondes en philosophie. Dans cet article, je voudrais défendre la thèse inverse (mais tout à fait compatible) qui est que des méthodes issues de la philosophie pourraient être fécondes pour la psychologie. Dans une première partie, je m’intéresserai à un exemple de recherche psychologique où des thèses philosophiques ont déjà joué un rôle majeur, puis, d’une façon plus spéculative, j’indiquerai un certain nombre de domaines de la psychologie dans lesquels la philosophie pourrait à l’avenir jouer un rôle.

Faire de la psychologie à partir de la philosophie : le problème du Trolley

La psychologie morale est la branche de la psychologie qui s’intéresse aux processus mentaux impliqués dans la formation des jugements moraux. Jusqu’à très récemment, la psychologie morale a été dominée par une tradition dite « rationaliste », issue de Piaget et Kohlberg, selon laquelle nos jugements moraux étaient le fruit de raisonnements conscients. Suivant cette idée, Kohlberg avait proposé un modèle des différents stages du développement moral sur la base des justifications morales données par des individus confrontés à des dilemmes moraux. Le passage du XXe au XXIe siècle a été marqué par le rejet du paradigme rationaliste et l’adoption d’un paradigme opposé dit « intuitionniste ». La psychologie intuitionniste part de la distinction, maintenant devenue classique en psychologie cognitive, entre deux types de processus mentaux : tandis que certains processus mentaux sont contrôlés par le sujet, volontaires, conscients et demandent beaucoup de ressources cognitives, d’autres sont automatiques, involontaires, inconscients et le sujet ne perçoit que leur résultat. Prenons par exemple la multiplication : "17x31" - pour faire cette multiplication, vous devez volontairement "vous y mettre", faire des efforts, et vous êtes conscients des diverses étapes nécessaires pour réaliser l'opération (du moins de certaines d'entre elles). C'est un exemple du premier type de processus cognitif. Prenez maintenant le mot suivant : "Philosophie". Une fois que celui-ci est entré dans votre champ visuel, vous ne pouvez pas vous empêcher de le lire, et vous n'avez pas été conscient de toutes les étapes nécessaires pour le décoder. Il s’agit là d’un processus cognitif du second type. Tandis que la psychologie rationaliste considérait nos jugements moraux comme le résultat du premier type de processus, la psychologie intuitionniste voit dans des processus du second type la source de nos évaluations morales[6][7].

L’un des résultats de cette distinction est que, tandis que pour la psychologie rationaliste nos jugements moraux découlaient de principes moraux représentés explicitement et accessibles à travers les justifications des sujets, la psychologie intuitionniste suppose au contraire que les principes directeurs de nos jugements nous restent cachés et ne nous sont pas directement accessibles. C’est à l’enquête psychologique de déterminer quels sont ces principes que les sujets utilisent sans le savoir[8].

Prenons un cas exemplaire de cette approche, et qui fait présentement couler beaucoup d’encre chez les psychologues : le « problème du Trolley ». Le problème vient de la comparaison entre deux dilemmes moraux. Prenons le scénario suivant :

Un train vide, sans passager ni conducteur, se dirige à vive allure sur une voie de chemin de fer. Cinq ouvriers travaillent sur cette voie. Sur une voie secondaire, se trouve un autre ouvrier. Si rien n’est fait, le train poursuivra sa trajectoire sur la voie principale et causera la mort des cinq ouvriers.

Jean se trouve près des voies et comprend ce qui est en train de se passer. Il se trouve près d’un aiguillage qui peut orienter le train vers la voie secondaire. Jean voit qu’il peut éviter la mort des cinq ouvriers en actionnant l’aiguillage, ce qui orientera le train vers la voie secondaire. Mais ce faisant, le train percutera l’ouvrier seul, ce qui causera sa mort.

Jean a-t-il moralement le droit de détourner le train sur la voie secondaire ?

Face à ce dilemme, la plupart des sujets interrogés (et cela, quel que soit leur nationalité, leur religion ou leur niveau socio-économique et culturel) répondent qu’il est moralement acceptable de détourner le train[9]. Prenons maintenant le scénario suivant :

Un train vide, sans passagers ni conducteur, se dirige à vive allure sur une voie de chemin de fer. Cinq ouvriers travaillent sur cette voie. Si rien n’est fait, le train poursuivra sa trajectoire et causera la mort des cinq ouvriers.

Il est possible d’éviter ces cinq morts. Jean se trouve sur un pont au-dessus de la voie de chemin de fer et comprend qu’il peut éviter la mort des cinq ouvriers en freinant le train avec un objet très lourd. Un piéton portant un énorme sac à dos se trouve sur le pont à côté de Jean. La seule façon de freiner le train consiste à pousser le piéton sur la voie. Mais, ce faisant, le train percutera le piéton et causera sa mort.

Jean a-t-il moralement le droit de pousser le piéton depuis le pont ?

Face à cet autre dilemme, la plupart des sujets interrogés répondent qu’il est tout à fait inacceptable de pousser le piéton depuis le pont. Une question se pose alors : comment expliquer que les gens acceptent de sacrifier une personne pour en sauver cinq dans le premier cas, mais pas dans le second ? Quel est le facteur psychologique déterminant qui amène les sujets à différer sur ces deux cas ? Comme des études psychologiques l’ont montré, les sujets ne sont pas eux-mêmes capables, pour la plupart de répondre de façon satisfaisante à cette question. C’est donc au psychologue de trouver, d’une façon ou d’une autre, les principes cachés de notre psychologie morale.

Quels rapports avec la philosophie ? Ils sont au nombre de trois. Le premier, c’est que le « problème du Trolley », qui est aujourd’hui devenu une énigme centrale de la psychologie morale, est à l’origine un problème philosophique : les deux scénarios décrits ci-dessus ont été créés et discutés par des philosophes[10][11][12]. Deuxièmement, la stratégie employée par les psychologues pour découvrir quels sont les principes cachés de notre psychologie morale consiste à multiplier le nombres de cas hypothétiques (d’expériences de pensées) en changeant à chaque fois le moins de paramètres possibles, et à considérer comme satisfaisante toute hypothèse qui permet le mieux de rendre compte de nos intuitions pour chacun de ces cas. Cette méthodologie (la partie expérimentale mise à part) est similaire à celle employée par la plupart des philosophes analytiques travaillant en philosophie morale, et a même été théorisée par John Rawls[13]. Enfin, la plupart des théories défendue actuellement par les psychologues sur le problème du Trolley proviennent de la littérature philosophique : certains, par exemple, reprennent la doctrine du double-effet de Saint-Thomas, selon laquelle il est acceptable de commettre un mal pour un bien, mais uniquement dans le cas où ce mal est un effet secondaire de notre action et pas un moyen en vue de la réalisation de notre but[14]. Matériel expérimental, méthodologie et hypothèses : dans ce cas précis, toutes les étapes du travail du psychologue sont nourries par la philosophie.

Analyse de concepts et psychologie du développement

Avec les sciences cognitives et l’exemple de la révolution chomskyenne en linguistique, l’idée selon laquelle l’esprit humain serait à la naissance comme une tablette vierge est de plus en plus mise en doute[15]. Nombreux sont les philosophes et les psychologues prêts à admettre que l’esprit a été doté par l’évolution d’une certaine gamme de concepts « innés ». Mais comment déterminer si un concept est inné ? C’est à l’investigation empirique d’en décider en dernier ressort, mais certains indices peuvent préalablement nous guider. Imaginons qu’un concept ne soit pas réductible à des données sensorielles ou à d’autres concepts réductibles à des données sensorielles : c’est déjà là un indice, mais ce n’est pas suffisant, car l’esprit humain est capable de poser certaines entités comme des hypothèses. De nombreux concepts scientifiques ne sont pas immédiatement réductibles à des données sensorielles.. Il faut alors un deuxième critère : imaginons que ce concept soit présent dans toutes les populations humaines. Si ce concept n’est pas immédiatement tiré de la perception mais une simple hypothèse que le perçu sous-détermine, il devient alors étonnant de constater que toutes les populations convergent vers la même hypothèse. Il y a alors de fortes présomptions en faveur de l’innéité de ce concept.

Prenons un exemple : le concept d’objet (plus précisément, d’objet physique, existant indépendamment de notre perception). Les philosophes s’accordent pour la plupart pour dire que le concept d’objet physique ne peut pas être réduit à un ensemble de données sensibles (de sense-data)[16]. Comment expliquer alors que tous les hommes semblent le posséder ? Répondre, comme pourrait le faire Quine, que le schème conceptuel contenant les objets physiques est véhiculé par le langage ne fait que repousser la difficulté : pourquoi tous les langages parlent-ils d’objets physiques ? Répondre que l’existence d’objets physiques est la meilleure hypothèse pour rendre compte de notre expérience sensorielle n’est pas une réponse satisfaisante non plus : il faut encore expliquer pourquoi tous les hommes sont amenés à considérer cette hypothèse.

Des études en psychologie du développement ont montré que le jeune enfant faisait très tôt usage du concept d’objet. Avant l’âge de 5 mois, les bébés possèdent déjà un concept d’objet comme « ensemble de surfaces qui se touchent et bougent en même temps » et qui obéit à certains principes comme celui dit de constance de l’objet, ou de substantialité (un objet reste à l’emplacement où il se trouve et ne disparaît pas sans raison)[17]. Beaucoup en tirent la conclusion selon laquelle le concept d’objet est, d’une façon ou d’une autre, « inné ».

De cet exemple, on peut tirer la leçon suivante : si un concept est universellement répandu mais que l’analyse conceptuelle prouve qu’il est irréductible à l’expérience ou d’autres concepts, il y a de bonnes raisons pour supposer qu’il appartient à notre bagage de concepts innés. Partant de cette hypothèse, l’analyse philosophique de concepts peut contribuer à certains débats en psychologie du développement. Par exemple, sauf cas pathologique, tout humain dispose de la capacité de prévoir le comportement d’autrui en lui attribuant des croyances, des désirs et des intentions – concepts qui semblent universellement répandus. Cette faculté, que les psychologues appellent « théorie de l’esprit » est-elle innée ou acquise ? et certains de ces concepts sont-ils plus fondamentaux que les autres ? Cette question renvoie le philosophe aux débats sur la réduction behaviouriste des concepts mentaux à des dispositions comportementales, ou encore à la question de savoir si le concept d’intention peut être ramené à celui de désir[18]. Autre exemple, tiré une nouvelle fois de la psychologie morale. Nous classons les actions moralement bonnes en deux catégories : celles que nous avons le devoir d’accomplir, et celles qui sont moralement bonnes mais que nous n’avions pourtant pas le devoir d’accomplir (ce que les philosophes appelle la « surérogation »[19]). Aucune des deux catégories d’acte ne semble pouvoir être réduite à l’autre et les enfants font rapidement la différence[20]. Là encore, c’est à l’analyse conceptuelle qui peut décider s’il s’agir de deux notions primitives ou si celles-ci peuvent être ramenées à une notion plus simple.

Bien sûr, le dernier mot sera à l’investigation empirique et au psychologue. Mais la nouvelle alliance entre philosophie et psychologie ne doit pas se faire que dans un sens : les philosophes doivent prendre conscience de ce qu’ils peuvent apporter au développement de la psychologie.



[1] Knobe, J. & Nichols, S. (2008) “An Experimental Philosophy Manifesto” in Knobe, J. & Nichols, S. (2008) Experimental Philosophy, Oxford University Press.

[2] Nahmias, E., Morris, S., Nadelhoffer, T. & Turner, J. (2006) “Is incompatibilism intuitive?” Philosophy and Phenomenological Research 73: 28-53.

[3] Nichols, S. & Knobe, J. (2007) “Moral Responsibility and Determinism: The Cognitive Science of Folk Intuitions” Nous, 41, 663-685.

[4] Cova, F. & Ravat, J. (2008) “Sens commun et objectivisme moral : objectivisme "global" ou objectivisme "local" ? Une introduction par l'exemple à la philosophie expérimentale.” Klesis - Revue Philosophique : Actualité de la Philosophie Analytique.

[5] Goodwin, G. P. & Darley, J. M. (2008) “The psychology of meta-ethics: Exploring Objectivism” Cognition, 106 (3), p.1339-1366

[6] Haidt, J. (2001). “The emotional dog and its rational tail: A social intuitionist approach to moral judgment.” Psychological Review. 108, 814-834.

[7] Haidt, J. (2007). “The new synthesis in moral psychology.” Science, 316, 998-1002.

[8] Cushman, F., Young, L., Hauser, M. (2006). “The role of conscious reasoning and intuitions in moral judgment: Testing three principles of harm.” Psychological Science, 17(12), 1082-1089.

[9] Hauser, M., Cushman, F., Young, L., Jin, R., Mikhail, J. (2007). “A dissociation between moral judgment and justification.” Mind and Language, 22(1), 1-21.

[10] Foot, P. (1978) “The Problem of Abortion and the Doctrine of the Double Effect” in Virtues and Vices, Oxford: Basil Blackwell.

[11] Thomson, J. J. (1985) “The Trolley Problem” Yale Law Journal, 94, p.1395-1415.

[12] Unger, P. (1996) Living High and Letting Die, Our Illusion of Innocence, Oxford University Press.

[13] Rawls, J. (1951) "Outline of a Decision Procedure for Ethics.” Philosophical Review (No.2), 60 (2): 177-197.

[14] Mikhail, J. (2007) "Universal Moral Grammar: Theory, Evidence, and the Future," Trends in Cognitive Sciences, Vol. 11, No. 4, pp. 143-152

[15] Pinker, S. (2002) The Blank Slate: The modern denial of human nature, Penguin.

[16] Voir par exemple : Quine (1953,2003) “De ce qui est” in D’un point de vue logique, Vrin.

[17] Pour une synthèse sur le sujet : Melher, J. & Dupoux, E. (1996) Naître humain, Odile Jacob

[18] Voir sur cette dernière question : Bratman, M. E. (1987) Intentions, Plans and Practical Reasons, Harvard University Press.

[19] Pour une synthèse : Cova, F. (2008) “La morale au-delà du devoir : le cas de la surérogation”, Le Philosophoire N°30

[20] Kahn, P. H. (1992) “Children’s Obligatory and Discretionary Moral Judgments”, Child Development, Vol.63, No.2, p.416-430.


14 comments:

Anonymous said...

Bonjour,
Bravo, c'est intéressant et bien écrit. Deux remarques sur la seconde partie :
-vous dites que le concept d'objet est inanalysable, mais vous venez de parler d'un ensemble de surface qui bougent ensemble. Il me semble effectivement que les psychologues qui s'intéressent à ça donnent un certain nombre de propriété que doivent exemplifier les objets : cohésion, solidité, path-connectedness... ce qui laisse penser qu'ils ne prennent pas le concepts d'objet pour primitif.
-sur la question "comment expliquer que tous les hommes possèdent le concept d'objet", il me semble que si on se place du point de vue de l'espèce en tous cas, une réponse tout à fait intuitive et plausible est simplement: parce qu'il y a des objets, en réalité. Même si les bébés naissent avec des attentes comme la permanence des objets, ça n'explique pas pourquoi ils naissent avec ça. Il y aurait des objets même si OBJET n'était pas une catégorie a priori de notre entendement !

-sur la thèse générale, il me semble y avoir une tension entre l'analyse conceptuelle appliqué au concept d'objet que vous défendez en seconde partie, et les remarques de la première partie sur le fait que l'analyse conceptuelle est l'étude des concepts de sens commun, qui ne peut être qu'empirique. à l'arrivée je ne sais pas trop si vous défendez l'abandon de l'analyse conceptuelle en philosophie au profit des études empiriques des concepts ordinaires (ce qui rendrait la thèse selon laquelle la psycho doit partir de la philo peut plausible) ou la thèse inverse (et vraie!) selon laquelle l'analyse conceptuelle est a priori et peu être utile aux études empiriques. Mais je m'excuse si j'ai mal compris, j'ai sans doute lu tout ça trop vite.

Florian Cova said...

Merci pour vos commentaires et les compliments. Je répond à vos remarques :

- Je n'ai effectivement pas assez précis. "Ensemble de surfaces qui bougent ensemble" est un des indices utilisés par les bébés pour catégoriser qqch comme "objet" - mais ce n'est certes pas leur concept d'objet. Je vais corriger ça.

- Je ne comprend pas trop la deuxième remarque. "Il y aurait des objets même si OBJET n'était pas une catégorie a priori de notre entendement !" Certes, sans aucun doute. Je n'ai pas dit le contraire. "une réponse tout à fait intuitive et plausible est simplement: parce qu'il y a des objets, en réalité." Si vous voulez dire par là que la catégorie d'objet peut être tirée de l'expérience, je me permet de renvoyer à ce que j'ai dit sur l'irréductibilité du concept d'objet aux sense-data, etc. Si vous voulez dire par là : "les enfants ont un concept d'objet parce que, comme il y a des objets dans le monde, il est avantageux pour nous d'un point de vue évolutif d'avoir ce concept" - I agree.

- Pour la troisième partie, il y a effectivement une tension que la taille maximale autorisée ne me permet de traiter (ehouais). Ma solution serait la suivante : certains concepts (comme "liberté") se prêtent à des analyses alternatives et déterminer quelle analyse correspond au concept commun requiet une enquête empirique. Voilà. (Je ne sais pas si c'est très satisfaisant)

Anonymous said...

Salut, merci pour la réponse :

Sur le deuxième point, je voulais juste savoir si vous étiez réaliste au sujet des objets. Une théorie qui aurait pu être la votre est : il n'a y pas d'objet dans le monde, les objets sont simplement les produits de l'application de notre catégorie d'objet à un donné non-objectuel. Maintenant je comprends que vous acceptez les objets.

Ca n'était pas mon point initial mais je me permets de rebondir sur ce que vous dites au sujet de la non-rectubilité des objets aux sense-data. Il ne faut pas confondre deux questions : peut-on réduire les objets à des entités dépendantes de l'esprit ? (ii) peut-on réduire les objets à des faisceaux de propriétés réelles perceptible ? Je ne sais pas quelles raisons vous avez en tête pour vous opposer à la construction des objets comme ensemble de sense-data, mais l'idée que les objets seraient des faisceaux de propriétés comprésentes est loin de faire l'unanimité contre elle.

Une dernière chose sur "tiré de l'expérience" :,il ne faut confondre la question génétique "d'où nous vient le concept d'objet" et la question épistémologique "comment pouvons-nous justifier notre croyance selon laquelle il y a des objets". Pour la seconde question, il me semble approrié de répondre "parce que nous percevons des objets", même si cette réponse ne convient pas à la première question.

Florian Cova said...

- La théorie de l'objet comme faisceau de propriétés comprésentes est une reconstruction possible du concept d'objet, mais elle me semble intensionnellement différente du concept courant d'objet physique, quand bien même elle permettrait de faire les mêmes prédictions que la notion naïve. Plus important : elle fait des prédictions contraires aux données de la psychologie développementale. En effet, une telle théorie amène à prédire que, à l'origine, les propriétés les plus importantes des objets seront les propriétés sensibles. Or, il se trouve que ce n'est pas le cas. Je ne suis pas assez spécialiste pour rentrer dans le détail, mais prenons ceci : un enfant de quelques mois n'identifie pas un objet comme étant le même sur la base de ses attributs (couleurs, formes, etc.) mais à partir de la continuité du mouvement et du principe de substantialité. Exemple : on connait l'expérience où l'on cache des objets sous un panneau et, quand on retire le panneau; si le nombre d'objets n'est pas le bon, le bébé est étonné. Variante : un canard en plastique se cache derrière un panneau, une balle rouge ressort de l'autre côté puis revient derrière le panneau. On retire le panneau et il n'y a qu'un des deux objets. Le bébé n'est pas étonné : ça ne le gêne pas de considérer que c'est le MEME objet. Ce n'est que plus tard qu'il utilisera la forme et la couleur pour discriminer les deux objets. Cela me semble incompatible avec la théorie du faisceau. Mais là encore, je n'ai pas eu la place de parler de ces choses-là.

Pour la dernière réponse, je suis d'accord avec la distinction. D'ailleurs, la réponse "on croit en des objets parce que c'est la meilleure façon de rendre compte des phénomènes" me parait une solution possible au deuxième problème quand bien même je la rejette comme solution au premier problème.

Anonymous said...

Les expériences que vous mentionnez montrent que les bébés ne sont pas sensibles à certaines propriétés des objets comme leur forme ou leur couleur, mais si l'on veut conclure de là que les bébés sont sensibles aux objets indépendamment de leurs propriétés il faut supposer en outre qu'il n'y a pas d'autres propriétés auxquelles ils sont sensibles. Parmi les candidats aux autres propriétés que ces expériences n'excluent pas il me semble : (i) les propriétés déterminables comme "avoir une forme quelconque", "avoir une couleur" (ii) des propriétés gestaltiques comme "se distinguer de son environnement immédiat=avoir une frontière perceptible". (iii) être opaque, non totalement transparent.
Ce que j'ai du mal à avaler dans cet histoire d'objet est qu'on semble faire de particulier nus, dénués de propriétés des objets intentionnels et des termes de relations causales, alors qu'il est plus vraisemblable que les objets ne sont intentionnellement accessibles et causalement efficaces qu'en vertu de leurs propriétés.

Florian Cova said...

Je cite :

Parmi les candidats aux autres propriétés que ces expériences n'excluent pas il me semble : (i) les propriétés déterminables comme "avoir une forme quelconque", "avoir une couleur" (ii) des propriétés gestaltiques comme "se distinguer de son environnement immédiat=avoir une frontière perceptible". (iii) être opaque, non totalement transparent.

Je répond :

Ce sur quoi nous sommes d'accord, c'est que les bébés utilisent ces critères pour classifier un objet comme objet. Mais ce que montrent ces expériences, c'est que ces mêmes caractéristiques ne sont pas utilisées par les enfants pour réidentifier un objet comme "étant le même objet" (ce qui n'est pas la même chose). Les indices utilisés pour cela sont la continuité du mouvement et la position spatiale, qui sont, vous en conviendrez, des propriétés extrinsèques de l'objet. Or, il me semble que la théorie du faisceau prédit que nous seulement les objets sont reconnus comme tels, mais aussi qu'ils sont identifiés comme étant le/les même(s) sur la base de propriétés intrinsèques.

Remarquez que cette réponse ne contredit en rien les propos suivants :

"il est plus vraisemblable que les objets ne sont intentionnellement accessibles et causalement efficaces qu'en vertu de leurs propriétés."

Donc, nous sommes au moins d'accord dans une certaine mesure.

Florian Cova said...

Un autre problème de la théorie du faisceau, c'est que nous sommes tous capables de considérer deux objets comme distincts quand bien même nous ne possédons aucun moyen de les identifier. Je ne suis pas convaincu que la théorie du faisceau permette véritablement d'expliquer cette capacité.

Florian Cova said...

Enfin, petite confidence : sur la même base, je pense que nous avons plusieurs "catégories ontologiques innées" - pas seulement celle d'objets : j'ai cité les catégories mentales, mais je pense aussi que celle "d'espèce naturelle" est aussi innée.

Pour une bonne introduction à tout ça, je pense que le bouquin de Pascal Boyer "Et l'homme créa les dieux" est une lecture agréable (même si, vu au titre, on pourrait penser que ça n'a rien à voir). De votre côté, si vous avez un ouvrage de synthèse à me proposer sur la théorie du faisceau, n'hésitez pas.

Mikolka said...

Merci beaucoup pour cet excellent billet. Et je souhaite que ce soit une avant-première d'un futur article de cette revue naissante. Je voudrais tout de même faire quelques remarques.

1) Psychologie du développement versus psychologie cognitive chomskyenne :

Les études de la psychologie du développement ont des conséquences très importantes. Entre autres, elles ont montré que les enfants disposaient de capacités spécifiées très jeunes. Les tests de Meltzoff sur l’intermodalité sensorielle, et des tests réalisés par d’autres chercheurs sur la distinction de soi-même et d’autrui, portaient sur des nouveaux-nés (moins de six semaines).

Mais l’une des conséquences importantes de la psychologie du développement fut de mettre en question la validité de la psychologie cognitive de tendance chomskyenne sur un point précis : la théorie chomskyenne repose sur le présupposé de la continuité des capacités au cours des âges de la vie. Or ce que la psychologie du développement montre, c’est que les hommes, de la naissance à l’âge adulte, passent par des phases et non des étapes (exemple : A. Karmiloff-Smith).

Les psychologues du développement sont innéistes. Mais ils ne se réclament pas de la « révolution chomskyenne ».


2) Posséder un concept versus posséder une capacité :

Chez Chomsky, j’ai l’impression qu’il y a une ambiguïté : le fait d’avoir une compétence est équivalent au fait d’avoir une capacité innée. Mais il est tout à fait possible d’avoir une capacité spécifiée sans en posséder le concept.

On sait que les nouveaux-nés ont une capacité spécifiée à reconnaître les visages ou à reconnaître un visage comme un visage. Possèdent-il pour autant le concept de visage ? Non. Ce sont deux choses bien différentes.

Par conséquent, si, quand on cherche quelque chose qui est inné, on cherche une capacité, nul n’est besoin de concept. Autrement dit, la psychologie n’a pas besoin du savoir technique de la philosophie.


3) Contexte de la genèse d’une découverte et contexte de la justification:

Admettons que la philosophie puisse aider la psychologie. Admettons qu’un psychologue puisse être aidé par le concept tel qu’il est utilisé en philosophie pour être mis sur la piste d’une capacité innée.

Le rôle de la philosophie se limite au contexte de la découverte. C’est un indice. Rien de plus. Le psychologue ne pourra pas soutenir sa position dans un article scientifique en s’appuyant sur la philosophie. L’apport de la philosophie n’est ni nécessaire ni suffisant pour justifier de la réalité d’une capacité innée, ou plus généralement de la validité des propositions émises en psychologie.

Amicalement,

Florian Cova said...

Mikolka :

1) Ce que vous dites est exact. Mais je ne pense pas que nous soyions en désaccord - tout dépend de ce que l'on entend par "inspirés par la révolution chomskyenne". L'influence principale de Chomsky est la suivante : réintroduire en psychologie l'idée selon laquelle des capacités spécialisées disposant de présupposés non tirés de l'expérience sont nécessaires pour le développement de nombreuses capacités. Avec l'idée selon laquelle il existe des capacités complexes qui maturent précocement, et pas juste une construction par apprentissage / association, Chomsky redonne un nouveau souffle à la psychologie du développement. C'est en ce sens que les psychologues du développements "surfent" sur la vague post-chomskyenne. Le livre que je cite, de Melher et Dupoux, se réfère ainsi à Chomsky. C'est cette idée globale que l'on doit à Chomsky (la comparaison avec la croissances des bras, dont vous avez déjà parlé sur le site) - je ne parlais pas du contenu de l'une de ses théories en général.

Pour Meltzoff : ça marche même 15mn après la naissance.

2) "On sait que les nouveaux-nés ont une capacité spécifiée à reconnaître les visages ou à reconnaître un visage comme un visage. Possèdent-il pour autant le concept de visage ? Non. Ce sont deux choses bien différentes."

Marrant, j'aurais dit OUI. De façon "comportementale", qu'est-ce que, au niveau le plus bas, posséder un concept ? C'est être capable, sur la base de certains critères, de placer l'entité E dans une catégorie C, ce qui permet de faire un certain nombres d'inférences. Par exemple, avoir un concept d'arbre, c'est pouvoir classer les divers arbres dans une catégorie "arbre" - ce qui permet de faire des inférences à leur sujet (ils ont probablement des feuilles, ils ne parlent pas, etc.)

Certes, dans ces cas-là, on ne possède pas un concept de façon réflexive, on ne peut pas revenir dessus de façon métacognitive. Mais, au sens ou de nombreux psychologues l'entendent, je possède bien un concept.

Bien sûr, toute capacité ne requiert pas un concept. Pouvoir me baisser quand je vois arriver qqch vers moi à toute allure n'est pas qqch de "conceptuel" - c'est plus de l'ordre du réflexe. Mais, quand chez les bébés, on repère une capacité qui consiste à classer certaines entités selon certains critères de façon à en tirer des inférences supplémentaires, on peut dire qu'il s'agit d'un concept, non ? What else ? (Que vous faut-il de plus ?)

En plus, il est douteux qu'il existe un seul type de concept. Il n'est pas certain que "concept" corresponde, comme concept, à un "natural kind". La psychologie du concept, c'est quand même bien le bordel !

"la psychologie n’a pas besoin du savoir technique de la philosophie."

La psychologie du concept, comme je viens de le dire, est un sacré bordel, où nombre de distinctions sont nécessaires. Rien que pour savoir ce qu'est un concept, m'est avis que les psychologues vont épuiser un tas de philosophes. Cf. par exemple la thèse de Machery sur le sujet.

"Mais il est tout à fait possible d’avoir une capacité spécifiée sans en posséder le concept."

Euh... certainement. Mais j'ai dit que les enfants possédaient la capacité de reconnaître un objet comme telle, pas qu'ils avaient le concept "avoir la capacité d'identifier les objets".

3) Vous êtes bien pessimiste.

"L’apport de la philosophie n’est ni nécessaire ni suffisant pour justifier de la réalité d’une capacité innée, ou plus généralement de la validité des propositions émises en psychologie."

Oui, c'est un peu ce que je dis en conclusion. Mais cela n'empêche pas que cela peut être utile (savoir que l'on peut aller de Paris à Marseille à pied sans voiture ne prouve certainement pas que la voiture est inutile).

"Le psychologue ne pourra pas soutenir sa position dans un article scientifique en s’appuyant sur la philosophie."

Donc, c'est là que je vous trouve très pessimiste. Nous vivons une époque d'interdisciplinarité. Dans Nature, on peut voir des neuropsychologues réfutés par de "simples" philosophes. De même, certains débats voient se mêler allègrement dans les papiers considérations "psychologiques" et "philosophiques". Le problème de la conscience mais aussi un sujet comme la théorie de la simulation. Il n'est pas si peu courant que ça de voir des arguments "philosophiques" pénétrer dans le débat psychologique. Des journaux comme Cognition acceptent des articles entièrement théoriques, sans compter les journaux spécialement dédiés au mélange des genres comme "Philosophical Psychology".

Puis, revenons à Chomsky : l'argument de la "pauvreté du stimulus" n'est-il pas un argument "philosophique" ?

Mikolka said...

Florian Cova:

Merci pour votre réponse.

1) Nous sommes d’accord, je n’insiste pas plus.

2) Pour commencer, j’ai envie de dire qu’avec une conception aussi minimaliste, on peut tout admettre. Mais même si on adopte une conception « minimaliste » du concept, je ne pense pas qu’on soit sorti des difficultés.

Admettons cette conception minimaliste : pour dire que l’organisme x possède le concept y, il suffit que x soit capable, sur la base de certains critères, d’inférer de E (entité) qu’il entre dans une catégorie C.

Si E est un arbre, alors x possède le concept d’arbre quand il est capable, au même où il voit un arbre, de le classer parmi la catégorie des arbres.
Si E est un homme, alors x possède le concept d’homme, quand il est capable, au moment où il voit un homme, de le classer parmi la catégorie des hommes.

Le premier problème est que le visage n’est pas une catégorie comme une autre dans les procédés de reconnaissance. Yin (1969) : si on inverse le stimulus, la seule entité qui n’est pas reconnue par un individu, c’est le visage. Par conséquent, si on généralise, la base des critères n’est pas uniforme pour tous les objets. Employer une formule comme « sur la base de certains critères » nous laisse totalement dans le vague. (Et la philosophie devrait le ménage parmi les critères, n’est-ce pas ?)

Le second problème est que la catégorisation n’est pas assez restreinte. Si je reprends l’exemple du visage : on sait que les nouveaux-nés sont attirés par un « T », une barre horizontale surchargée et une barre verticale perpendiculaire. Et face à un stimulus présentant cette forme, ils ont des réponses significatives. Certes, quand il verra un visage, l’enfant reconnaîtra le visage ; toutefois, non parce qu’il s’agit d’un visage, mais parce que le stimulus est conforme à la pré-spécification (le « T »). De surcroît, il admettra de nombreux stimuli comme visages, dont il tirera des inférences, qui ne seront pas des visages, parce qu’ils seront conformes à la pré-spécification. Avec les expériences, des critères sélectifs s’ajouteront qui permettront à l’enfant de faire le tri. Mais au départ, il y a une capacité si générale qu’il me semble difficile de parler de « possession de concept ». Et sur ce point, j’ai beaucoup de mal à voir comment les philosophes peuvent aider les psychologues du développement (mais peut-être est-ce parce que j’ai un peu dérivé ?) !


3) Si on veut être rigoureux, on dira de l’argument de la pauvreté du stimulus, sous sa forme primaire, qu’il n’est précisément pas un argument. Ce « pseudo-argument » est une piste de travail, une hypothèse pour orienter les recherches. Chomsky en a d’ailleurs conscience dans ses Réflexions sur le langage (notamment durant l’expérience de pensée qui met un chercheur en situation d’analyse des comportements verbaux des enfants). Mais l’ambiguïté s’installe parfois : on ne sait plus, en le lisant, s’il pense qu’il s’agit d’un véritable argument ou d’une hypothèse. Et elle perdure chez certains.

Il y a des preuves pour l’innéité du langage à partir du moment où l’on découvre FOXP2. Là, on a une proposition sur un phénomène qui peut prétendre expliquer quelque chose.

Tout est permis dans le contexte de la découverte, même la philosophie (!). Mais dans le contexte de justification, les arguments doivent être rigoureux.

Je ne nie pas cependant que la simple présentation d’hypothèse peut être intéressante, voire profitable. Mais il ne faut pas s’emmêler les pinceaux.

Le travail du philosophe des sciences, c’est aussi d’évaluer la puissance, la plausibilité, la validité, des explications. Et en tant que philosophe, cela me gêne de négliger ces questions.

Amicalement,

Hippocrite et Démocrate said...

Bonjour à vous, je découvre votre blog. Il est bien fourni, félicitations.
Si toutefois vous souhaitez vous détendre, voici le blog de l'humour philosophique : http://critecrate.blogspot.com/

Mikolka said...

Merci pour le compliment et pour le lien.
Notez que mes collaborateurs sont triés sur le volet: ils ne produisent que de bonnes choses!

Amicalement

Florian Cova said...

Mikolka :

Je rend l'article ce soir. J'ai pris vos remarques et celles d'Olivier en compte. Quelques réponses :

2) "Pour commencer, j’ai envie de dire qu’avec une conception aussi minimaliste, on peut tout admettre."

Roooohhh... Pourquoi ? Je vais utiliser un argument d'autorité. C'est la position de Ruth Millikan, que je trouve moi assez convaincante.

"Le premier problème est que le visage n’est pas une catégorie comme une autre dans les procédés de reconnaissance. Yin (1969) : si on inverse le stimulus, la seule entité qui n’est pas reconnue par un individu, c’est le visage. Par conséquent, si on généralise, la base des critères n’est pas uniforme pour tous les objets."

Je comprend pas. Pour n'importe quel type d'entités susceptible d'être subsumée sous un concept, il est évident qu'il existe des contextes qui rendent l'identification plus difficile. Vous avez beau posséder un concept de votre femme, cela n'empêche qu'il vous sera plus difficile de l'empêcher si elle est déguisée (exemple de Millikan).

"Employer une formule comme « sur la base de certains critères » nous laisse totalement dans le vague."

Je vois mal comment on peut faire mieux. Un même objet est identifié selon différents critères selon le contexte (vous pouvez identifier une pièce de 2 euros à la forme, mais aussi au poids).

"Le second problème est que la catégorisation n’est pas assez restreinte. Si je reprends l’exemple du visage : on sait que les nouveaux-nés sont attirés par un « T », une barre horizontale surchargée et une barre verticale perpendiculaire. Et face à un stimulus présentant cette forme, ils ont des réponses significatives. Certes, quand il verra un visage, l’enfant reconnaîtra le visage ; toutefois, non parce qu’il s’agit d’un visage, mais parce que le stimulus est conforme à la pré-spécification (le « T »). De surcroît, il admettra de nombreux stimuli comme visages, dont il tirera des inférences, qui ne seront pas des visages, parce qu’ils seront conformes à la pré-spécification."

Bah... encore une fois, posséder le concept de X n'implique pas être capable d'identifier X sans jamais se tromper. D'ailleurs, imaginez deux jumeaux parfaits (Nif-Nif et Nouf-Nouf) : vous pouvez avoir un concept différent pour chacun d'eux, sans pour autant être capable de les identifier. Vous semblez considérer que concept=description définie. Mais il suffit de lire Kripke et Putnam pour voir que cette position n'est pas tenable.


3) "Le travail du philosophe des sciences, c’est aussi d’évaluer la puissance, la plausibilité, la validité, des explications. Et en tant que philosophe, cela me gêne de négliger ces questions."

Il me semble que dire : le concept de X est universel, mais l'analyse ne nous permet pas de le construire à partir d'autres concepts est un bon argument, non ? Je ne vois pas trop en quoi j'ai "négligé" ces questions. Je ne parlais tout simplement pas de philosophie des sciences. La philosophie des sciences n'est pas le seul point de contact entre philosophie et science (i.e. la philosophie n'est pas qu'un "métadiscours")

Je met ici un lien vers un article de Millikan qui à la fois :

- montre comment la philosophie et l'analyse de concepts sont nécessaires à la psychologie (l'article a d'ailleurs été publié dans "Behavioral and Brain Science", ce qui montre que les revues psychologiques ne sont pas hostiles aux arguments philosophiques),
- défend la thèse : concept = capacité à tirer des inférences.

L'article est là :
http://www.psych.northwestern.edu/waxman/commentaryonrgmillikan.pdf

(NB : si des choses vous semblent incompréhensibles dans ce message, excusez-moi : là tout de suite , j'ai 39 de fièvre)